Mai : Toujours seul·e·s ?

Même dans la plus grande salle du monde, chacun·e demeure l'unique spectateur·trice du film se déroulant sous ses yeux, différent de celui perçu par ses voisin·e·s, et seul·e face à l'écran. Mais si le film parle aussi de solitude, celle-ci s'ajoute-t-elle ou bien l'annule-t-elle ?


C'est avec les films destinés au jeune public que l'on débute : leur faible représentation les désigne naturellement pour ouvrir un panorama mensuel marqué par la solitude. Les tout-petits à qui l'arrivée d'un·e puîné·e a été promise seront particulièrement sensibles à Molly Monster (10 mai) un film d'animation de Ted Sieger & Michael Ekblad, où l'on suit la   balade initiatique d'une future grande sœur attendant avec impatience l'arrivée de son frère, dans un univers bariolé de gentils monstres évoquant les Moomins revus par George Dunning. Psychédélique mais plus homogène que La Cabane à histoires (31 mai) de Célia Rivière. Cette suite d'adaptations  animées (très réussies) de livres illustrés pour enfants est malheureusement entrelardée de saynètes inutiles jouées par des gamins faux comme des chaussettes dépareillées.

Seul·e… contre tous

Parfois, les paranoïaques ne sont pas les seuls à avoir l'impression que la Terre entière s'est liguée contre eux : cette sensation touche des gens a priori fréquentables. Prenez cette pauvre macchabée retrouvée sur une scène de crime dans The Jane Doe Identity de André Øvredalavec (31 mai)… Son corps muet posera plus de questions aux deux médecins légistes chargés de la disséquer qu'il ne leur livrera de réponses, dans le temps qu'il exercera sur les praticiens une diabolique vengeance. Un thriller ensorcelé en forme de jeu de piste pour carabins taquins.

Bien vivant est Nassim, le héros de De toutes mes forces (3 mai). Double du réalisateur Chad Chenouga, cet ado placé en foyer après la mort subite de sa mère cache à son entourage bourgeois le drame qu'il vit, tout en refusant la main tendue du monde éducatif. Après Ma vie de courgette et La Tête haute, on tient là un nouveau grand film sur l'univers social, où Chenouga transfigure son passé, s'en guérit sans doute, sans nous ensevelir sous le pathos. Une réussite.

Pays de La Solitudine, l'Italie ose tout en la matière, y compris le film de super-héros semi-tarantinesque où le protagoniste, petit gangster sans envergure, mute après s'être contaminé aux produits radioactifs dans le Tibre. Et décide après beaucoup d'atermoiements de faire le bien en solo. On l'appelle Jeeg Robot (3 mai) de Gabriele Mainetti, joyeuse absurdité aux relents de série B très sérieusement interprétée par la star Claudio Santamaria, a conquis le public transalpin et glané 7 David di Donatello — les César locaux. 

Quant au héros noir de Get Out (3 mai), il découvre — un peu tard — que l'accueil si (trop) bienveillant, que la famille blanche de sa nouvelle petite copine lui a réservé, cachait un gros méchant loup. Et qu'il se trouve piégé comme un mouton à l'abattoir. Engagé comme une romance indépendante, le film est insensiblement gagné par une forme d'intranquillité galopante, et s'achève dans une épouvante organique que ne dédaignerait pas Cronenberg. Le rythme reste hélas un peu lent, et le spectateur prend vite de l'avance sur l'intrigue. Dommage.

Seul·e… ou mal accompagné ?

On serait bien embarrassé si l'on n'avait pas sous la main cette bonne solitude des familles ; celle que l'on éprouve au milieu des siens, qui aiment mal, trop ou plus du tout. Biopic à l'élégance austère et parsemé d'une malice retenue — tant à l'image de la poétesse représentée que du réalisateur Terrence Davies —, Emily Dickinson, A Quiet Passion (3 mai) rend hommage à cette grande figure des lettres américaines, sacrifiant l'essentiel de sa vie terrestre au bénéfice de son art. Une conquérante dont Davies montre la force de caractère se heurtant au carcan de son époque.

Nana Ekvtimishvili & Simon Groß dépeignent dans Une Famille heureuse (10 mai) une autre femme décidée : Manana, Géorgienne quinquagénaire et enseignante, qui décide de “divorcer” de son envahissante parentèle. Ses parents, enfants, mari tombent des nues ; tout le monde veut la “raccommoder” aux siens, mais elle profite de son indépendance. Cette histoire en disant long sur la place des femmes nous cueille par sa maîtrise de la durée — on ne voit pas le temps passer.

Un dernier mot sur Marie-Francine (31 mai) où Valérie Lemercier se retrouve elle, a contrario, chez papa-maman. Si l'on fait abstraction des facilités et redites autour des bourgeois snob, cette comédie abrite une ravissante bluette sentimentale avec un Patrick Timsit tendre comme du bon pain. Les âmes esseulées doivent y aller à deux.


<< article précédent
Jeudi, j’ai reggae