Albin de la Simone, le poète funambule

Avec son cinquième album studio, L'un de nous, Albin de la Simone continuer à explorer avec minutie, tendresse et douceur nos sentiments et nos émotions. Un résultat fidèle à son travail engagé au service d'une chanson française délicate de grande qualité, qu'il présentera dans l'intimité de l'église Notre Dame pour Paroles & Musiques 2017.


Si Albin de la Simone nous avait prévenu en 2005 avec son titre Je vais changer, on ne pourra pas dire qu'il nous a menti. En une décennie il a su faire une mue salvatrice, marquée notamment par la sortie du magnifique album Un Homme en 2013. En acceptant de s'exposer davantage dans la lumière, d'ouvrir ses textes à une intimité assumée, la métamorphose et le charme ont opéré pour faire naître un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus prolixes de la chanson française actuelle. Avec son nouvel album, L'un de nous, l'Amiénois enfonce le clou avec délicatesse et mélancolie douce. Un album d'une rare beauté où il décrit avec finesse l'amour passionnel, malmené par le temps ou en quête d'un renouveau. Enregistré en seulement quelques jours, ce disque confirme la propension du multi-instrumentiste à dépeindre l'infinie complexité des sentiments.

Décrire les fêlures du quotidien

Après un parcours de musicien-accompagnateur aux côtés de (très) nombreux artistes en studio et en tournée : Vanessa Paradis, Jean-Louis Murat, Miossec, Alain Souchon ou même Iggy Pop, Albin de la Simone s'est lancé en solo en 2003. Pendant plusieurs années, il est caractérisé par son génie des arrangements mais tout en restant toujours un peu "en-dedans". Ce passé est désormais bien loin. Entouré par ses deux complices de longue date Maëva Le Berre (au violoncelle) et Anne Gouverneur (au violon) et par sa dernière recrue François Lasserre à la guitare, Albin de la Simone expose les fêlures du quotidien mieux que quiconque avec ses compositions poétiques mais tout en prenant soin d'incorporer sans cesse des addictives touches aigres-douces. Un artiste complet, simple et touchant.

Albin de la Simone, dimanche 4 juin à 17h, à l'église Notre Dame (place Chavanelle) à Saint-Étienne, dans le cadre du festival Paroles & Musiques


Albin de la Simone : « Je jette des millions de kilomètres d'encre dans des carnets »

Dans ce nouvel album, il se dégage l'impression d'une volonté d'aller davantage dans l'intime en traitant de l'amour et de l'effet du temps sur ce dernier ?
Ce n'était pas une volonté particulière. Je n'arrive pas à donner un cadre à mon écriture. J'écris ce qui me vient puis je compte les points à la fin, lorsque je parviens à obtenir de quoi faire un album. Pour cet album, je me suis retrouvé avec 15/16 chansons. Il en est ressorti 12 titres assez cohérents. Il se trouve que ces chansons vont encore plus dans l'intimité, en parlant également davantage des femmes et du couple que de masculinité par rapport au disque précédent. Ce n'est donc pas réellement un choix. J'en étais même à me dire que j'aurais pu intituler ce disque Une femme. Mais cela faisait un peu "coup monté" (rires). De plus, ce n'est pas du tout pareil quand un homme fait un disque qui s'appelle Un homme et un mec qui fait un album s'intitulant Une femme. Le regard et la distance ne sont pas les mêmes. Il n'était pas justifié de l'appeler comme ca.

Il paraîtrait que votre écriture « progresse lentement, voire douloureusement » et que « vous n'aimez qu'une faible portion de ce que vous écrivez ». Est-ce vrai ?
C'est un euphémisme ! Je jette des millions de kilomètres d'encre dans des carnets. Je remplis des pages d'idées, de phrases, de demis-couplets... Parfois, j'arrive à faire un couplet, puis un second, qui apparaît 3 pages plus loin, parce qu'entre-temps il y a eu 3 pages de n'importe quoi, de trucs qui me donnent l'impression d'être nul quand je les relis. Quand je ne garde pas un écrit, c'est tout simplement parce que c'est mauvais... La sensation très particulière quand on écrit seul, c'est de beau être parfois dans un paradis - par exemple, j'ai eu la chance d'aller sur l'Île Maurice - mais d'être face à un carnet rempli de choses insignifiantes où tu te dis que tu es complètement nul (rires). En gros, il y a 99 % de choses que tu écris qui sont pourries et il reste ce fameux 1% qui devient une chanson, la moitié d'un disque puis un album entier. C'est à ce moment-là que l'image de moi-même se réhabilite. C'est en cela que l'écriture est douloureuse : je jette tout le temps donc je me trouve nul tout le temps. Je ne m'en plains pas. Cela fait partie du processus de création et c'est un équilibre normal. Mais tout va très bien, je vous rassure, c'est une douleur relative. Ce serait indécent de dire l'inverse.

« Il reste ce fameux 1% d'écriture qui devient une chanson, la moitié d'un disque puis un album entier. »

Vous avez eu une grande expérience de "sideman" auprès de nombreux artistes dans votre carrière. Comment cela vous aide-t-il dans votre travail personnel de création ?
Je ne peux pas imaginer ce que je serais sans ces diverses expériences. Mais je sais comment cela influence mon travail. Le côté négatif est que ces collaborations multiples peuvent me perdre un peu, me faire "oublier" ce que je suis et ce que j'aime faire à force d'avoir travaillé avec des rockers et des chanteurs différents... C'est pour cela que j'ai mis plus de temps à trouver qui je suis musicalement. Mais il y a également de très nombreux côtés positifs. Étant musicien, j'adore évidemment jouer de la musique, en produire que ce soit sur des synthés, un orgue Hammond, des tas d'instruments différents... Mais le chanteur que je suis n'a pas besoin de tout ça, mais plutôt d'une grande sobriété. Donc ces expériences annexes me permettent d'exprimer plein de choses que je ne pourrais pas mettre dans mes chansons. Elles viennent libérer mes chansons de mes fantasmes de rocker ou de musique africaine... (rires) Cela me permet d'élaguer et de centrer mes disques sur mes textes, en ayant un rapport beaucoup plus mesuré.

Vous avez enregistré tout d'abord en solo, au piano pendant deux jours en studio avant de travailler sur les arrangements ?
Oui, c'est en général comme ceci que je fonctionne sauf que d'habitude, on réenregistre les voix a posteriori. Les enregistrements vocaux initiaux s'apparentent alors à des "voix témoins". Mais étant donné qu'en concert, je ne me pose pas trop de questions sur ma manière de chanter, et que cela se passe très bien, j'ai voulu faire la même chose pour cet album. J'ai chanté et basta ! Du coup, je suis devenu d'une certaine manière le producteur du disque d'un chanteur qui n'était plus moi, puisque la voix était déjà enregistrée. J'avais la posture du producteur-musicien avec une distance nouvelle qui m'a vraiment libéré. Ce qui était simple à gérer, c'est qu'il suffisait de reprendre l'arrangement et non pas réenregistrer la voix si cette dernière n'allait pas à tel endroit. Cela donne une grande cohérence à l'album, car j'ai tout arrangé selon les voix déjà "en boîte" : la musique, les interventions des copines... Par exemple, j'ai ressenti qu'il manquait des voix féminines, car c'était un peu sec et un peu trop centré. J'ai alors contacté Vanessa Paradis, Sabine Sciubba et Mara Carlyle qui ont ajouté un peu de souplesse, d'accidents et de sensualité.

Enregistrer 15 titres en deux jours, c'est assez dingue...
C'est complètement fou ! On est entré en studio en se disant « on commence comme ça et on voit où cela nous mène... » Deux jours après, tout était fait ! C'est dingue, mais j'étais prêt, j'avais énormément travaillé en amont. On m'avait prêté un studio à la Philharmonie de Paris et j'avais pu travailler la manière de jouer les pianos en live lors des Siestes Acoustiques de Bastien Lallemant. Je maîtrisais donc assez bien toutes mes nouvelles chansons avant d'entrer en studio. J'avais également trouvé l'intention que je voulais donner à leur interprétation. Ce qui est finalement le plus important.

Vous avez également choisi de travailler à nouveau avec l'ingénieur du son et réalisateur Dominique Ledudal sur cet album...
Oui, c'est quelqu'un qui m'aide beaucoup. Il a une manière de gérer les enregistrements de voix assez démente. Il m'emmène beaucoup plus loin que là où j'irai en solo. C'est un vieux complice. Il a une part de psychologie et une manière unique de faire chanter. C'est un peu comme un directeur d'acteur qui permettrait aux comédiens de se surpasser.

Qu'allez-vous proposer de différent sur cette nouvelle tournée et notamment lors de votre passage dans une église à Paroles & Musiques ?
Notre dernière tournée avec Un homme a tellement été merveilleuse que je ne voulais pas repartir exactement de la même manière pour ne pas être déçu. Donc j'ai proposé à un vieux copain, François Lasserre, de nous rejoindre à la guitare et aux percussions. Mais on garde exactement le même principe avec Maëva Le Berre au violoncelle et Anne Gouverneur au violon, le tout en acoustique, avec seulement une enceinte sur ma voix. François amène quelque chose de nouveau tout en gardant nos acquis. Ce nouveau live est finalement très différent tout en se situant dans le prolongement de la précédente tournée. Le fait que ce soit dans une église, je ne sais pas trop ce que cela rendra mais une chose est sûre, nous avons besoin de salles un peu résonnantes. C'est bien plus sympa que les SMAC ou les scènes rock, au son très mat. De plus, comme nous jouons doucement, l'attention est forte donc autant que les gens soient bien installés et que l'endroit soit beau.


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