Le poison d'amour

Six ans après avoir présenté sa vision de Roméo et Juliette, Joëlle Bouvier explore à nouveau un grand mythe, celui de Tristan et Isolde, sur la musique de Wagner, dans une chorégraphie ciselée, pleine d'émotion et de passion qui projette les vingt et un danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève vers l'excellence.


Il fallait le faire ! Joëlle Bouvier l'a fait. Pari risqué que de chorégraphier l'opéra magistral de Wagner, tant sa musique, cérébrale, est réputée indansable. « On a l'impression que le corps, il s'en fiche. Il passe plutôt par l'esprit, par l'âme » dit Joëlle Bouvier. Dès lors, comment réussir le mariage harmonieux de la danse et de la musique ? La chorégraphe a choisi de recentrer l'œuvre sur une période de 1h30, de sélectionner des pépites et de proposer des lignes narratives avec lesquelles les spectateurs vont tisser un spectacle autour de l'amour de Tristan et Isolde. Pour que le mariage entre la chorégraphie et la musique soit réussi, que les danseurs existent malgré l'ampleur de la musique, il fallait qu'ils soient, non seulement des danseurs de haut niveau, mais qu'ils aient envie de vivre l'aventure en l'interprétant, qu'ils passent par leurs émotions pour entrer dans la musique et nous entraîner dans les vertiges de cette passion éternelle.

Eros et Thanatos

Isolde n'était pas destinée à Tristan. Selon la tradition, il devait aller chercher Isolde et la ramener à son oncle, le roi Marc qui devait l'épouser. L'amour entre Tristan et Isolde est donc un amour coupable et quand Isolde dit à Brangäne, la servante : « Salue pour moi le monde », elle est bien décidée à boire, après Tristan, le philtre qui doit les tuer. Or, « en croyant boire la mort, les deux héros boivent l'amour et c'est l'amour qui devient leur mort. » Le style de Joëlle Bouvier qui a toujours su exprimer l'ardeur des sentiments, sa gestuelle, ample, émotionnelle, lyrique, collent parfaitement aux émois de Tristan et Isolde. Les danseurs, très puissants physiquement, se concentrent sur l'expressivité du corps et le sens du mouvement. Les grands pliés, les sauts puissants et aériens, les courses éperdues parlent le langage éloquent de la passion. La scénographie, simple, à la fois réaliste et symbolique, crée un univers très évocateur et des images d'une rare beauté. Un rideau de gaze crée un décor brumeux. Une corde reliant Tristan et Isolde symbolise l'amour qui les unit. Les flots, omniprésents, sont magnifiquement représentés par de grands tissus bleus chatoyants et mouvants. Bref ! Pari gagné. Joëlle Bouvier signe un grand ballet qui "salue pour [nous] le monde".

Tristan et Isolde - Salue pour moi le monde !, mardi 20 juin à 20h, à l'Opéra de Saint-Étienne


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Cirque, cinéma et prohibition