JLG, Portrait chinois

Une année à part dans la vie de Godard, quand les sentiments et la politique plongent un fer de lance de la Nouvelle Vague dans le vague à l'âme. Une évocation fidèle au personnage, à son style, à son esprit potache ou mesquin. Pas du cinéma juste ; juste du cinéma.


1967. Au sommet de sa gloire, Jean-Luc n'est pas à une contradiction près : s'il provoque en public en professant des slogans marxistes ou égalitaristes, il aspire en privé à une union conformiste de petit-bourgeois jaloux avec la jeune Anne. Tiraillé entre son Mao et son Moi, le cinéaste passe de l'idéologie au hideux au logis. L'insuccès de La Chinoise ne va rien arranger…

Toutes proportions gardées, la vision du Redoutable rappelle celle de AI (2001), cette étonnante symbiose entre les univers et manière de deux cinéastes (l'un inspirateur, l'autre réalisateur), où Spielberg n'était jamais étouffé par le spectre de Kubrick. L'enjeu est différent pour Hazanavicius, à qui il a fallu de la témérité pour se frotter à un Commandeur bien vivant — certes reclus et discret, mais toujours prompt à la sentence lapidaire ou la vacherie définitive.

Hommage et dessert

En savant théoricien-praticien de l'art du détournement, Hazanavicius a extrait du récit autobiographique d'Anne Wiazemsky Un an après une substance purement cinématographique et godardienne (faite de références intellectuelles, de calembours à tiroirs, de charade ou rébus visuels, de ruptures narratives et stylistiques), qui dépeint sans déférence ni cruauté un JLG égaré, à la fois fragile et tyrannique. Il lui ôte ses lourds oripeaux de génie pour le ravaler à sa condition de grand petit homme naïf, avide d'amour et d'un gourou pour lui donner l'Est. Respectant autant l'œuvre qu'il “irrespecte” les travers de l'artiste — à l'instar de Stephen Hopkins pour Moi, Peter Sellers (2004), rare exemple de biopic avec point de vue — le réalisateur oscarisé se montre, sinon un héritier, du moins un disciple indirect de l'auteur du Mépris : il conjugue maîtrise, insolence et érudition. Avec un supplément d'affectueuse tendresse — élément dont on a hélas perdu trace depuis longtemps dans la production du misanthrope résident rollois.

Peut-être que ce film permettra à Godard, si jamais il consent à le voir, de comprendre son divorce avec sa femme, avec son public, avec lui-même… Même si tout cela désormais appartient à l'Histoire ; même un demi-siècle après, vieux mot soixante-huitard que jamais.

Le Redoutable de Michel Hazanavicius (Fr., 1h 42) avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Bejo…(13 septembre)


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Septembre : Voilà, voilà qu’ça r’commence !