Frère Animal, la fable musicale qui fait mal

Formé en 2008 par le musicien Florent Marchet et l'écrivain Arnaud Cathrine, Frère Animal est un OVNI dans le paysage musical français. Après avoir jeté un premier pavé dans la mare avec un premier roman musical éponyme, le projet a repris vie en 2016 à l'occasion de la Présidentielle. Intitulé Second Tour, cette nouvelle fable pop balance et fait réfléchir même après le résultat sorti des urnes. Rencontre avec deux artistes investis.


En 2008, quelle a été la motivation initiale du projet Frère Animal ?
Florent Marchet :
Avant tout, il y avait le fait de faire quelque chose avec Arnaud. Nous nous sommes rencontrés en 2004 et avons rapidement commencé à effectuer des lectures musicales, mélangeant des extraits de romans d'Arnaud à mes créations musicales. Cela a bien fonctionné. Parallèlement, nous nous sommes rendus compte que nous arrivions à écrire ensemble, ce qui n'est pas si évident car ce n'est pas facile de partager l'écriture. C'est très intime comme processus de création. Du coup, nous avons eu envie d'aller plus loin. 

Quelle a été la raison de ce Second Tour ?
Arnaud Cathrine :
Il y a deux choses qui entrent en jeu. Dans le premier volet, pour aller au bout de la tournée, nous avons appelé à rescousse Nicolas Martel et Valérie Leulliot. Au fil des dates, nous sommes vraiment devenus un groupe. Au départ, c'est Florent qui assumait la musique live, aidé par quelques bandes sons. Mais nous nous sommes vite rendus compte que si nous voulions passer un pallier en terme de live, il allait falloir que tout le monde s'y mette. Valérie s'est mise à la basse, Nicolas aux percussions et moi au piano. Et in fine, le spectacle avait vraiment la teneur d'un concert. À la fin de la tournée, contrairement à pas mal de groupes, nous n'en avions pas assez... (rires) Nous avions donc l'idée de nous retrouver un jour. La seconde raison est à chercher dans les circonstances de notre monde contemporain. Comme le premier volet, le sujet est basé sur des enjeux et des réflexions collectives liées au politique. La montée du Front National ainsi que l'arrivée prochaine des élections présidentielles, sachant l'envie que l'on avait de se retrouver, tout cela a contribué à l'écriture de Second Tour.

Les thèmes que vous abordez dans Second Tour telles que le repli identitaire ou la montée des extrêmes étaient évidentes à traiter selon ?
Florent Marchet :
Je crois qu'il n'y avait pas une discussion entre amis ou en famille, a fortiori juste avant les élections, qui ne tournaient pas autour de cela. C'était la chose un peu inévitable et selon moi c'est bien qu'il puisse y avoir ce genre de débat. Le second Frère Animal est né à l'aube des premiers attentats. C'est assez glaçant de savoir que la première séance d'écriture a eu lieu la veille des attentats de Charlie Hebdo...

« Cela nous semblait inconcevable que la jeunesse s'engage à l'extrême droite hormis quelques groupuscules ou extrémistes. Mais en lisant Charlotte Rotman, nous nous sommes aperçus que tout cela avait changé. »

Pour écrire ce second épisode, vous avez entrepris un travail de documentation en vous appuyant sur des écrits tels que Retour à Reims de Didier Eribon ou encore 20 ans et au Front – Les nouveaux visages du FN de Charlotte Rotman. Comment fonctionnez-vous dans vos recherches ?
Arnaud Cathrine :
Le sujet dont nous allions nous emparer était "la jeunesse et le Front National". Bien sûr, le repli identitaire et la montée des extrêmes en France et en Europe étaient présents mais c'était avant tout le rapport de la jeunesse avec le Front National. Nous savions que nos présupposés étaient obsolètes. A priori, cela nous semblait inconcevable que la jeunesse s'engage à l'extrême droite hormis quelques groupuscules ou extrémistes. Mais en lisant Charlotte Rotman, nous nous sommes aperçus que tout cela avait changé et qu'il y avait de plus en plus de jeunes qui s'engageaient à l'extrême droite pour des raisons très différentes et issus de milieux très variés. Nous nous sommes documentés pour ne pas "passer à côté" du sujet.
Florent Marchet : Nos personnages étaient liés aux rencontres que nous avions pu faire et aux histoires que nous avions pu entendre autour de nous. Mais il en fallait davantage. Il fallait un véritable travail d'investigation. Et nous avons été déboussolés en apprenant que ce que nous imaginions, était bien en deçà de la réalité... Nous nous demandions même si nous ne devions pas arrondir les angles en se disant que, dans une fiction, cela ne paraîtrait pas crédible.
Arnaud Cathrine : Avec Frère Animal, nous avons toujours voulu cultiver la parodie afin qu'il y ait des "soupapes de sécurité" et du rire. Mais il fallait absolument que l'on évite la caricature. Hors, le paradoxe, comme dans tous les domaines fictionnels, la réalité dépasse souvent la fiction... Parfois, nous avons eu certains retours sur des phrases du spectacle où des spectateurs réagissaient : « ça va un peu loin là... » alors que c'était justement une phrase réelle que nous avions rapportée d'un documentaire. Tout cela est assez étonnant.

Concernant la musique, entre le premier volet et le second y-a-t-il beaucoup de différences ?
Florent Marchet :
Il y a eu un peu plus de moyens. Le premier s'était fait de manière plus artisanale. Cette fois-ci, nous avions une maison de disques qui nous suit. Mais c'est surtout l'expérience que nous avons emmagasinée. Lors de la sortie du premier volet, j'avais seulement deux albums à mon actif et peu de lectures musicales avec Arnaud. De plus, sur ce second spectacle nous savions que nous allions le porter sur scène. Du coup, nous nous sommes davantage tournés vers l'aspect scénique lors de la composition. Nous savions également qui seraient les interprètes, ce qui oriente forcément l'écriture.

« Hélas, le spectacle a la même actualité en France mais également dans d'autres pays. »

Est-ce que l'écho public du spectacle après les Présidentielles est différent ?
Arnaud Cathrine :
Nous sommes délestés d'une pression mais c'est reculer pour mieux sauter. Nous nous dirigeons vers des élections, dans cinq ans, qui s'annoncent toutes aussi dangereuses que celles que nous venons de vivre. L'élection d'Emmanuel Macron n'a pas fait disparaître les problématiques. Hélas, le spectacle a la même actualité en France mais également dans d'autres pays. Il y a eu l'arrrivée de Trump au pouvoir, le Brexit, le score de l'AFD en Allemagne récemment... Nous sommes dans l'imprévisibilité totale.


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