"Numéro Une" : Elle fut la première

Jusqu'où doit aller une femme pour conquérir un fauteuil de PDG ? Forcément plus loin que les hommes, puisqu'elle doit contourner les chausse-trapes que ceux-ci lui tendent. Illustration d'un combat tristement ordinaire par une Tonie Marshall au top.


Cadre supérieure chez un géant de l'énergie, Emmanuelle Blachey est approchée par un cercle de femmes d'influence pour briguer la tête d'une grande entreprise — ce qui ferait d'elle la 1ère PDG d'un fleuron du CAC40. Mais le roué Beaumel lui oppose son candidat et ses coups fourrés…

Si elle conteste avec justesse l'insupportable car très réductrice appellation “film de femme” —dans la mesure où celle-ci perpétue une catégorisation genrée ostracisante des œuvres au lieu de permettre leur plus grande diffusion —, Tonie Marshall signe ici un portrait bien (res)senti de notre société, dont une femme en particulier est l'héroïne et le propos imprégné d'une conscience féministe affirmée. Peu importe qu'un ou une cinéaste ait été à son origine (“je m'en fous de savoir si un film été fait par une femme ou un homme”, ajoute d'ailleurs Marshall) : l'important est que ledit film existe. 

Madame est asservie

Comme toute œuvre-dossier ou à thèse, Numéro Une ne fait pas l'économie d'un certain didactisme : le film revendique un vérisme tiré de son enquête réalisée dans les arcanes du pouvoir. Mais heureusement, il ne se satisfait pas de sa documentation ni de son intention politique ; c'est le parcours du personnage qui prime. Emmanuelle Blachey se révèle aux autres en faisant acte de candidature, mais aussi (surtout ?) à elle-même. Poussée, puis appuyée par d'autres femmes, elle ose briser un plafond psychologique qu'elle n'aurait jamais tenté effleurer  ; cet élargissement de ses perspectives lui donne la force de déverrouiller un traumatisme ancien et de s'en soulager. Dans ce cruel parallélisme apparaît alors tout le poids des conditionnements invisibles imposés aux femmes.

Face à une Emmanuelle Blachey/Devos déterminée sans être outrancièrement conquérante, Tonie Marshall a réuni un aréopage de mâles dominants (ou se croyant tels) savoureux, sans doute assez représentatifs du cheptel actuel : le patron débonnaire et vieille garde, campé par Jérôme Deschamps ; le joueur d'échecs cynique et désinhibé à qui Richard Berry prête sa séduction fauve et enfin l'opportuniste madré, en phase (ou en marche) avec son temps, parfaitement saisi par Benjamin Biolay. On aimerait beaucoup connaître les identités de ceux qui ont inspiré ces individus si fréquentables…

Numéro Une de Tonie Marshall (Fr., 1h50) avec Emmanuelle Devos, Suzanne Clément, Richard Berry, Sami Frey…


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Tonie Marshall : « Avec une réelle mixité, les répercussions seraient énormes sur la société »