Quand Tchekhov féconde In Vitro

Avec "Mélancolie(s)", la metteure en scène Julie Delquiet fusionne "Les trois sœurs" et "Ivanov" dans une adaptation au plus près de la vraie vie. Entre conversations arrosées et grands débats philosophiques, il y sera question du temps qui passe et qui détruit les rêves.


Le collectif In Vitro poursuit son exploration du mal-être contemporain, mais dans un nouveau style. Après son triptyque sur l'héritage générationnel, dont le public stéphanois a pu voir le dernier volet Catherine et Christian il y a deux ans, le voici qui s'attelle à la vision tchékhovienne du monde. Une rupture dans la continuité tant les thèmes abordés par Mélancolie(s) (la maladie, le travail, l'angoisse existentielle) font écho au malaise de la génération des années 70, coincée entre les utopies d'hier et le nihilisme des années 2010.

Dans leur dernier spectacle Catherine et Christian, Julie Deliquet et le collectif In Vitro enterraient leurs parents. Nous sommes un an plus tard. On fête l'anniversaire de Sacha, l'une des filles de la fratrie, dans la maison familiale. C'est la fin du deuil et le début d'une nouvelle vie, peut-être. C'est aussi le début des Trois Sœurs d'Anton Tchekhov, dont l'ombre plane sur Mélancolie(s). Cette pièce ainsi qu'Ivanov serviront de fil rouge : les rêves de la première croisent la violence de la seconde, la lucidité détruit un à un les personnages et les enferme dans leur solitude.

Dimension documentaire

Julie Deliquet a déjà pratiqué l'auteur russe en mettant en scène l'année dernière Vania, d'après Oncle Vania à la Comédie-Française avec des comédiens de la troupe du Français et cinq membres d'In Vitro. Ce fut un succès et l'envie pour la metteure en scène de récidiver, tant l'univers tchekhovien fait miroir à ses thèmes de prédilection : « Les pièces de Tchekhov cristallisent tous mes questionnements : la fin d'un monde, le rapport au temps, la famille et l'intime, le tragique de nos existences. » L'occasion aussi de rompre momentanément avec l'écriture de plateau pratiquée par le collectif depuis huit ans, sans toutefois renoncer à rescénariser l'histoire avec les codes formels propres aux habitudes de la troupe, adapter le contexte au plus près de la vraie vie en filmant des scènes de répétition dans des contextes réels, au cœur de la vie quotidienne et avec des non acteurs. « C'était drôle de filmer dans un hôpital un dialogue avec un véritable professeur de médecine donnant la réplique aux mots de Tchekhov sans le savoir » raconte Julie Deliquet. Cette matière cinématographique est distillée au compte-goutte dans la pièce, pour donner une dimension presque documentaire au spectacle. Lors de la première représentation à Lorient, la metteure en scène a été frappée par les réactions enthousiastes du public de lycéens. Preuve de l'intemporalité de l'écriture de Tchekhov, sublimée dans l'écrin d'In Vitro.

Mélancolie(s), du 7 au 10 novembre à la Comédie de Saint-Étienne


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