Matches nuls, balles au centre

Nul besoin de beaujolais nouveau pour voir double : la masse absurde de films déferlant ce mois sur les écrans contient déjà son pesant de décalques, miroirs et autres psittacismes…


Grosse bataille de romans d'apprentissage en perspective sur les écrans : d'un côté, un délinquant manqué repris en mains par un convoyeur à la retraite dans un bon petit polar argentin, La Educación del Rey de Santiago Esteves (22 novembre) ; de l'autre, trois apprentis comédiens francophones réussissent à force d'échouer. D'abord Maryline (15 novembre) de — mais sans — Guillaume Gallienne, où Adeline D'Hermy incarne sans beaucoup de charisme une aspirante actrice rongée par le trac tombant dans l'alcool. Bof. Ensuite, Marvin ou la belle éducation (22 novembre), lointaine adaptation de l'autobiographie d'Eddy Bellegueule, dans laquelle Anne Fontaine dépeint le quart-monde picard avec une telle ironie qu'on a du mal à percevoir l'intention. Rebof. Enfin, Nawell Madani dans C'est tout pour moi (29 novembre), un  autobiopic tiré de ses nombreuses galères assumant son ego et sa réflexivité, où la comédienne se joue elle-même sans pour autant (trop) se la jouer.

Filet ou contre-filet ?

À ce sujet, il faudra en finir un jour avec cette escroquerie du “contre-emploi” et son misérable pendant, la “performance d'acteur·trice”: un·e comédien·ne étant par essence capable de tout interpréter, inutile de s'extasier lorsqu'ils se livrent à des actes tranchant avec l'image que l'on se forme d'eux — d'autant que leurs transgressions s'avèrent souvent dérisoires. Illustration le 8 octobre avec Tout nous sépare de Thierry Kliffa, où Catherine Deneuve se fait rudoyer par Nekfeu et Nicolas Duvauchelle, empoigne un fusil de chasse, va en banlieue… Mais elle ne renonce ni à son apparence habituelle de chef d'entreprise, ni à sa diction précieuse, ni à ses cigarettes slim (faut pas pousser grand-mère dans les orties non plus). Dans Prendre le large (même date) Gaël Morel délocalise quant à lui au Maroc une Sandrine Bonnaire triste à voir, victime de la mondialisation, de son fils homosexuel égoïste et de gros plans peu flatteurs. Parfois, des vacances sont préférables à un tournage au soleil.

Celles et ceux qui redoutent que les Masters masculins de Londres ne pâtissent de l'absence de Murray, Wawrinka et Djokovic ont sans doute prévu de se reposer sur les deux films de novembre se déroulant “côté courts”. Signé par les “gentils” Jonathan Dayton & Valerie Faris (Little Miss Sunshine), Battle of the Sexes (22 novembre) narre le médiatique et symbolique match opposant en 1973 le super-macho Bobby Riggs à la n°1 féminine Billy Jean King. De la reconstitution lisse sans rien qui dépasse, nappé de musique fadasse. En face, le Borg/McEnroe de Janus Metz (8 novembre) se focalise sur la finale d'anthologie Wimbledon 1980 opposant deux caractériels — dont l'un rentré —, en optant sur une réalisation plus ascétique (moins musique, tiens tiens) et en confiant au bouillant Shia LaBeouf la raquette de l'explosif gaucher. C'est classique en diable, mais au moins, il n'y a pas de double-faute.

Les deux font la paire

On aura le 29 novembre l'occasion de mesurer l'écart entre écho et redondance grâce à Robert Guédiguian et Raymond Depardon : tous deux se réfèrent en effet à des œuvres précédentes pour nourrir leurs nouveautés respectives. En convoquant explicitement l'extrait de Ki Lo Sa (1985) pour illustrer un flash-back — procédé auquel il avait déjà eu recours dans La Ville est tranquille (2001), agrémenté d'un fragment de Dernier été (1981) —, le premier donne une belle épaisseur temporelle et mélancolique aux personnages de La Villa, lesquels passent justement tout le film à évoquer un passé à l'origine de leur brouille. Quant au second, il transpose dans 12 jours de manière mécanique son dispositif de Délits flagrants ou de 10e chambre, instants d'audience dans le décor du Vinatier (oui, un hôpital psychiatrique, comme San Clemente jadis). Cette répétition lasse plus qu'elle n'édifie : Depardon semble vouloir épuiser un filon ; il se peut que les spectateurs soient les premiers lassés par son syndrome du perroquet. 

Ne le répétez à personne, mais dans le duel entre Karin Viard et Clotilde Hesme, on se gardera de trancher. Non pour éviter de contrarier la première, névrosée en pré-ménopause envieuse de sa fille dans Jalouse (8 novembre) des frères Fœnkinos ou la seconde, mère porteuse pour un couple d'amis dans Diane a les épaules de Fabien Gorgeart (le 15) mais parce qu'elles sont également attachantes — avec un “i” entre le “h“ et le “a“…


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