Du cœur à l'ouvrage et de la rage au cœur

D'aucun·e·s pense que la trêve des confiseurs enveloppe l'univers entier d'une chape ouatée de bienveillance sucrée. Comme les sapins, ils et elles vont avoir les boules de découvrir à côté des pèrenoëlleries de saison quelques visions du monde des plus piquantes…


« Il est toujours choquant et blessant de s'arroger le monopole du spectateur. Vous n'avez, Monsieur Lucas, le monopole du spectateur ; vous ne l'avez pas » pourrait-on dire en parodiant Giscard à propos du nouvel épisode de la saga qu'il n'est nul besoin de nommer (13 décembre) puisque chacun en entend parler depuis deux mois déjà, et que nous n'avons pas été autorisés à découvrir. Aussi, laissons-le de côté et focalisons nous plutôt sur d'autres sorties. Tout particulièrement sur ces films emplis de tensions, voire de luttes. À l'Horloge de l'Apocalypse,   l'heure n'est de toutes façons pas à la franche rigolade…

Au travail !

Qu'il porte bien son titre, Un homme intègre (6 décembre) ! Signée par Mohammad Rasoulof, ayant jadis écopé d'une peine de prison après un film critique à l'égard du régime de son pays, cette œuvre primée à Cannes vaut au cinéaste iranien de se retrouver à nouveau inquiété par les autorités de Téhéran. Il y montre le combat digne de Reza, un éleveur de poissons défendant son bon droit face à une compagnie privée aux méthodes crapuleuses, en refusant d'entrer dans le système institué de la corruption — et ce, bien qu'il y perde lourd. Le portrait de la petite communauté où il réside, un ramassis d'hypocrites serviles et combinards aux ordres d'un potentat mafieux, rend son intégrité aussi admirable que stérile, hélas. Sec, éprouvant pour qui éprouve de l'empathie pour Reza, ce film sans effets est un témoignage implacable sur une réalité honteuse et si loin des dogmes moraux revendiqués par les mollahs.

Autre continent, autre forçat… Dans Makala d'Emmanuel Gras (même date), un homme veut recouvrir la maison qu'il construit d'un toit de tôles. Pour les acheter, il doit vendre du charbon au marché de Kowelzi pour un bénéfice exigu. Un charbon acheminé “à dos d'homme”, préalablement produit partir de bois coupé par ses soins. C'est tout ce processus, cet interminable itinéraire que le cinéaste (dûment récompensé par le Prix de la Critique sur la Croisette) restitue dans ce film oscillant — sans avoir vocation à trancher, d'ailleurs — entre documentaire et fiction, flirtant parfois avec le suspense et s'achevant par une envolée mystique. Saisissant le labeur dans son abrutissante mécanique hypnotique, montrant le racket opéré par les forces de l'ordre, Makala captive aussi par sa pure élégance formelle.

À la ferme du Paridier, dirigée par Hortense avec l'aide de sa fille Solange et de Francine, une orpheline qu'elle a embauchée, Les Gardiennes de Xavier Beauvois (même date) ont aussi du pain sur la planche, alors que les hommes sont au front de la Grande Guerre. Femme droite que les circonstances obligent à se durcir, Hortense va cependant agir pour les interêts de sa famille et contre sa conscience. Saga de “l'arrière” où la sensation des combats transpire pourtant à chaque image (l'omniprésence du bleu horizon n'y est pas étrangère), Les Gardiennes rappelle le talent de la chef-opératrice Caroline Champetier et combien lyrique peut se montrer Michel Legrand dans le minimalisme.

Enfants de tous pays…

Drôle de Noël, où les gamins en prennent pour leur grade. Si L'Échange des princesses (27 décembre) narre le mariage arrangé d'un Louis XV de 11 ans avec sa parente, une malheureuse Infante d'Espagne de 4 ans, il célèbre aussi de fécondes noces cinématographiques entre le cinéaste-écrivain Marc Dugain et sa coscénariste autrice du roman, Chantal Thomas. Rarement récit historique fut rendu avec autant de finesse, de réalisme et cependant de liberté(s). I Am Not a Witch de Rungano Nyoni (même date) suit le parcours d'une orpheline zambienne de 9 ans, convaincue de sorcellerie et exploitée autant que crainte à cause de ses supposés pouvoirs. Où l'on découvre l'incroyable emprise de la superstition sur le monde. La première religion demeure l'obscurantisme, et il ne cesse de recruter. Enfin, comment occulter Heartstone - Un été islandais de Gudmundur Arnar Gudmundsson (même date), drame intimiste et islandais où des ados se cherchent et se découvrent une sexualité durant un été de désœuvrement, entre amitié et quolibets. Sensible et admirablement ouvragée, cette œuvre sombre renvoie cependant une irradiante lumière. On mettra ça sur le compte du miracle de Noël…


<< article précédent
"La Villa" : Une calanque en hiver