Des caisses aux cimaises

Le Musée d'Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne Métropole fête en grande pompe son trentième anniversaire, proposant simultanément une singulière exposition du Britannique Anish Kapoor et une abondante sélection d'œuvres puisée dans les propres collections de l'institution. Deux très bonnes raisons de redécouvrir le MAMC !


Les prémices de l'aventure remontent à l'année 1833 avec la création du Palais des Arts qui deviendra plus tard le Musée d'Art et d'Industrie. Dès 1947, le Conservateur Maurice Allemand met en place une politique tournée vers l'art moderne, posant les bases de la collection de l'actuel MAMC+. En 1944, Pablo Picasso lui-même offrira au Musée Nature morte, pot, verre et orange. Les premières acquisitions notoires seront celles des Nymphéas de Claude Monet en 1924, de Selfportrait d'Andy Warhol en 1973 ou encore Trois femmes sur fond rouge de Fernand Léger en 1983. La création d'un nouveau bâtiment devient très vite une évidente nécessité. Après la visite du Président de la République François Mitterrand un mois plus tôt, le Musée d'Art Moderne sera officiellement inauguré le 10 décembre 1987 en présence du Ministre de la Culture François Léotard, Bernard Ceysson devenant alors directeur de l'un des premiers musées d'art contemporains créés hors de la capitale.

Une dimension internationale

Dans les années quantre-vingt-dix, d'importantes donations contribueront à hisser la collection du Musée à un niveau international. En trente ans, près de trois cent expositions seront proposées au public, ne donnant à voir pour autant qu'une partie des réserves. Les directeurs Jacques Beauffet jusqu'en 2003 puis Lóránd Hegyi jusqu'en 2016 apporteront des orientations déterminantes à l'établissement : le premier intensifiera la politique d'exposition et accompagnera la première édition de la Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne, le second ouvrira généreusement la programmation à l'art contemporain et aux artistes vivants. Conservateur du patrimoine au Musée depuis 1986, Martine Dancer-Mourès assurera en 2017 la direction de l'établissement par intérim, jusqu'à la toute récente nomination d'Aurélie Voltz.

« Considérer le monde est une exposition pensée par Martine Dancer-Mourès comme un véritable hommage aux collections du Musée. »

La nouvelle directrice s'avoue très enthousiasmée par les deux expositions mises en place pour célébrer les trente premières années d'existence du MAMC+ dont elle prend aujourd'hui les rênes. « La première, Considérer le monde, est une exposition pensée par Martine Dancer-Mourès comme un véritable hommage aux collections du Musée, qui révèle leur immensité en matière de temporalités, de géographies, d'attitudes, de pratiques artistiques et de philosophies , assure la nouvelle responsable. Ici s'écrit l'histoire de plusieurs siècles, de multiples conquêtes et d'autant de sensibilités. La seconde est une exposition proposée par Lóránd Hegyi, invitant un grand artiste contemporain qui représente à lui seul cette pluralité de formes et de cultures : Anish Kapoor pose sans cesse la question de l'art comme un tout, avec une volonté de faire advenir les origines du monde à travers ses sculptures. My red Homeland nous transpose à l'intérieur de l'Homme, de son esprit, de son intimité, de sa carnation, de sa chair et de son corps. »

Un foisonnant corpus d'oeuvres

L'œuvre du Britannique Anish Kapoor qui occupe la partie centrale de la grande salle est des plus étonnantes, avec ses douze mètres de diamètres et son bras d'acier qui opère un perpétuel processus de création-destruction sur un amas de vingt-cinq tonnes de vaseline rouge. Monumental. Autour, sont présentées des créations inédites en France, organiques, presque dérangeantes, du même rouge sang que la pièce centrale. Dans toutes les autres salles du Musée, Considérer le monde fait se côtoyer des œuvres couvrant une vaste période, du seizième au vingt et unième siècle, un foisonnant corpus qui pose comme un prisme sur notre monde, au gré des utopies et des tragédies qui en font l'Histoire. Les grands maîtres de l'art moderne sont là, Léger, Picasso, Warhol, Klein, Miro, Soulages et tant d'autres. Une salle entière abrite World corners, une installation de Thomas Hirschhorn qui présente aux quatre coins de l'espace des empilements d'objets symboliques ou symptomatiques de grands thèmes agissant sur le corps social : culture, politique, économie ou encore religion. À noter que la photographie se taille une belle part du gâteau, montrant notamment Les chevalements de puits de mines du couple de photographes allemands Bernd et Hilla Becher, la série Organon de Valentin Stefanoff, les magnifiques photos sociales de Chris Killip ou de Robert Adams, les Canuts de Rajak Ohanian, les portraits de Urs Lüthi et de Cindy Sherman, ou encore un extrait de l'intrigant Album de famille de Christian Boltanski.

- My red Homeland de Anish Kapoor jusqu'au 8 avril 2018
Considérer le monde jusqu'en novembre 2018


Questions à Martine Dancer-Mourès, commissaire de Considérer le monde

Comment avez-vous préparé ce trentième anniversaire ?
J'ai pris en charge le pilotage des projets pour cet événement mais c'est un travail d'équipe. Plus de soixante-dix personnes ont travaillé pendant deux mois pour préparer cette exposition qui regroupe trois cent œuvres, représentant cent soixante-dix artistes.

Comment avez-vous bâti votre sélection pour constituer cette énorme exposition ?
J'ai voulu mettre en dialogue des œuvres qui jusque-là n'avaient jamais été présentées les unes à côté des autres, faisant apparaître des thématiques, juxtaposant aussi des médiums différents : la peinture, la sculpture, la photographie, le design, les installations… En exagérant un tout petit peu, je peux vous dire que c'est très frustrant de ne pas pouvoir montrer les 23 000 œuvres du Musée !

Avez-vous un coup de cœur ou un attachement personnel à une œuvre en particulier ?
Ce serait bien trop réducteur de ne citer qu'une seule œuvre. Je dirais plutôt que j'ai un coup de cœur dans chaque salle de l'exposition ! Il y a énormément d'artistes pour qui j'ai un vrai intérêt, certainement parce qu'avant tout ils m'interpellent. Je m'intéresse par exemple beaucoup à la photographie…

Comment défendez-vous dans l'exposition la place des artistes qui sont passés par Saint-Étienne ?
Ils ont fait bien plus que simplement passer par Saint-Étienne ! Jean-Michel Othoniel est né ici, Valérie Jouve est née tout près, à Firminy, Damien Deroubaix a fait toutes ses études à Saint-Étienne… C'est très bien qu'ils aient leur place ici puisqu'ils ont soit participé à certaines expositions, soit sont souvent venus dans nos murs en visiteurs et amis.


Dates et chiffres-clés :

10 décembre 1987 : inauguration du Musée

1992 : donation Vicky Rémy

1994 : donation François et Ninon Robelin

300 expositions présentées en 30 ans

20 000 oeuvres dans les collections dont près de 2 000 pièces pour la collection design

3 196 dons /  3 826 legs / 2 812 donations / 4 902 achats / 300 à 400 œuvres prêtées par an à travers le monde

2 614 artistes de 55 nationalités différentes / 3 000 m2 d'espace d'exposition

40 000 ouvrages en consultation

60 000 visiteurs par an


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