Cannibale : la compagnie créole

Tardive révélation et nouvelle trouvaille du label Born Bad, les quarantenaires de Cannibale bouffent à tous les râteliers musicaux créolisant le rock avec un appétit pan-exotique hautement contagieux.


Qui a vu le culte Cannibal Holocaust n'en a sûrement jamais effacé les images de sa rétine. Dans ce vrai-faux docu, un groupe de journalistes fort antipathiques part à la recherche d'une tribu cannibale au cœur de la forêt amazonienne et se fait recevoir avec les honneurs dus à son manque de savoir-vivre : les voilà transformés en brochettes sauce état de nature.

On ne sait guère à quelle sauce JB Guillot, boss du label Born Bad, s'attendait à être mangé lorsqu'il enfourcha sa moto à destination d'un coin reculé de Normandie à la rencontre d'une tribu elle aussi Cannibale, dont la réputation commençait à bruire à travers les feuilles – il était temps, ses membres, la quarantaine bien tapée, avaient officié deux décennies durant dans une kyrielle de groupes dont le dernier Bow Low avait connu un début de petit succès classé sans suite.

Selon la légende, les Cannibale lui servirent un plat plus commun que sa propre tête – une simple purée, qui n'en contenait pas moins une haute portée symbolique : la purée, ils allaient l'envoyer. Et autrement que sous la forme d'un vulgaire écrasé de Bintje.

Mauvaises graines

Au menu, d'autoproclamés "exotica-psyché-pop" et "garage réunionnais" bien pratiques pour le dossiers de presse, mais en réalité tellement d'autres choses pas toujours identifiables. Cannibale et leur premier album, le carnassier No Mercy for love, produisent une sorte de vaudou musical, avec tout ce que cela comporte de syncrétisme esthétique et de risques que le corps et l'esprit ne répondent plus.

Un blues tribal qui s'agrémente d'orgues fait pour la transe et la transsubstantiation païenne, de rythmiques rituelles et de guitares à trancher la barbaque. Ici les séries B des années 70 (Bava, Leone) croisent les Seeds (No Mercy For Love,  Hoodoo Me) et les Bee Gees poussent des aigus possédés (Diabolik Prank) tandis que plane l'ombre chamanique de Jim Morrison fusionné Nick Cave par un autre genre de graines (seeds), mauvaises celles-là (Mama).

À ceux qui penseraient métissage, il faudrait répondre créolisation, telle que théorisée par le poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant :

 parce que la créolisation,  dit-il,  c'est le métissage avec une valeur ajoutée qui est l'imprévisibilité. Elle crée (…) des microclimats culturels et linguistiques absolument inattendus, des endroits où les répercussions des cultures les unes sur les autres sont abruptes. » 

L'imprévisibilité, dans ce qu'elle a de plus réjouissant et abrupt, c'est bien tout ce qu'inspire la rencontre avec cette bande de Cannibale.


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