Talent Extrême, Aude

Fini le temps où la jeune Bordelaise vérifiait sa messagerie dix fois par jour. Aujourd'hui, radieuse et sereine, la jeune mezzo, Aude Extrémo, brûle les planches par les deux bouts. Travailleuse acharnée, invitée des plus grandes scènes lyriques, elle reste humble, lucide et toujours aussi drôle. À Saint-Étienne, elle tiendra en mars, le redoutable rôle d'Arsace, dans "Sémiramide" de Rossini.


De retour de Salzbourg (eh oui!) où, de sa maquilleuse au chauffeur de taxi, elle s'est frottée à l'épineux dossier de la langue de Goethe, Aude revient "énergisée" par le foisonnement musical de la ville du grand Wolfgang. Au Landstheater, elle fut Jocaste dans Oedipus Rex de Stravinsky, pour neuf représentations, sous la baguette de Dennis Russell Davies. « J'étais folle de lui ! (Rires) C'est un chef génial, un homme bon. Avec lui, le travail n'est que bénéfice. Il est très attentif, il soutient vraiment les chanteurs, dans une bonne humeur permanente, avec une très grande modestie». Elle estime avoir eu la chance jusqu'à présent de travailler avec des chefs bienveillants : « quand ça se passe bien entre le metteur en scène et le chef, c'est formidable, mais parfois ça ne se passe pas bien ! Ce sont des batailles artistiques que l'on peut comprendre. Si, dans la mise en scène, les chanteurs sont placés à des endroits pas possibles, si on ne les entend pas, c'est frustrant pour le chef. Il faut essayer de gérer. Je n'ai pas été victime personnellement de ce type de batailles, mais j'ai connu des ambiances vraiment pourries. Heureusement, en général, entre chanteurs, on s'entend bien.»

Aude et la joie

Depuis quelques années, les projets et les partenariats pullulent. Aude vient de signer avec une nouvelle agence internationale, et déjà son calepin se noircit à la vitesse de l'éclair. « C'est une nouvelle collaboration qui se passe bien et qui porte ses fruits. Je n'ai pas le droit de parler des saisons prochaines (2019-2020-2021). Je dois refaire une télé en juin, mais...» Hors micro, Aude évoque les projets dont elle n'est pas autorisée à parler, et on s'en lèche déjà les babines ! Questionnée sur son impressionnante aisance à habiter vocalement les rôles rossiniens, et sur les risques d'un catalogage hâtif, voire simpliste par le petit microcosme lyrico-médiatique, elle déclare : « J'adore vocaliser. Rossini c'est très bel cantiste. Par exemple, Bellini n'a pas écrit grand chose pour les mezzo, donc techniquement, c'est très intéressant de travailler Rossini : le souffle, les piqués, les vocalises, la justesse, le phrasé. Mais je ne voudrais pas être coincée dans une image rossinienne, parce que je pense que l'on peut faire Rossini et d'autres choses, c'est même plutôt sain ! J'imagine qu'avec le temps ça va se dessiner, et que les choses vont se faire. Charlotte par exemple, c'est quelque chose qui me va très bien ! », suggère-t-elle malicieusement.

Un cri, une urgence

Quel chemin parcouru, depuis ses débuts avec Opéra-Bastide à Bordeaux ! Quand on lui demande ce qui la motive, elle répond dans un sourire : « Parfois, j'ai voulu lutter contre des gens qui ne croyaient pas en moi, mais cela a ses limites. En revanche, cette façon d'être au monde qui m'est venue de manière un peu mystérieuse m'appartient. Je RESSENS que je dois chanter. Je me sens à ma place aujourd'hui, ce qui n'a pas toujours été le cas. Et puis cette urgence de vivre, d'être sur scène et d'exprimer quelque chose de très humain. Tu vois des gens naître, des gens mourir, et tu as envie de crier. Moi, je crie au sens propre, avec un vibrato. Je travaille le cri d'incompréhension général, de surprise, d'émerveillement de tout ce qui existe. Certains dessinent, composent ou écrivent. Nous sommes tous au contact de ça. Après, on veut le voir ou pas, on peut, on veut le vivre ou pas. Pour moi chanter, c'est surtout ça. ». A Saint-Étienne, elle donnera dans Sémiramide, la réplique, dans le rôle d'Arsace, à une autre grande voix française, Karine Deshayes : « C'est un rôle magnifique. Encore une histoire d'inceste (rires). Bref, je suis très heureuse de travailler avec Karine, car on n'a jamais chanté ensemble. C'est un rôle très long, et il faut des interprètes qui soient à la hauteur. Et puis j'interpréterai un homme. Je ne sais pas comment je vais incarner ce jeune guerrier, ce sera intéressant physiquement et théâtralement ». Le public amoureux de belles voix, sera, lui, évidemment au rendez-vous de cet exquis duo, et l'on ronge son frein d'entendre le redoutable air d'Arsace (« Eccomi alfine in Babilonia ») par une si rayonnante interprète.


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