"9 doigts" : Ossang n'a pas perdu la main

L'épisodique F. J. Ossang est de retour avec un nouvel objet manufacturé aux saveurs intemporelles, empruntant sa cosmogonie au polar comme au fantastique, et sa linéarité à la courbe d'une spirale. Meilleure réalisation à Locarno, forcément.


Une gare, la nuit. Magloire se soustrait à un contrôle de police et court. Sa fuite le mène à un homme agonisant sur une plage, qui lui remet une liasse de billets. Un cadeau empoisonné lui valant d'être traqué par Kurtz et sa bande. Capturé, Magloire va être coopté par ces truands…

9 doigts raconte un peu mais invoque, évoque, provoque. Beaucoup de voix au service d'un film noir à la Aldrich que viendra insidieusement “polluer” une inclusion de radioactivité. Également d'une histoire de survivance paradoxale : celle d'un héros malgré lui, dépositaire d'un trésor qui n'est pas le sien, embarqué dans un rafiot vide au milieu d'escrocs rêvant d'un gros coup, échouant tous à le concrétiser. Une métaphore du cinéma, où pour durer il vaudrait mieux voyager léger, à l'écart des apprentis-sorciers, quitte à se retrouver isolé. Mais libre d'agir à sa guise, de créer un monde non orthodoxe, à gros grain et son saturé, avec des fermetures à l'iris, des ruptures de ton, des ellipses…

Ossang ne saurait mentir 

Fidèle à sa ligne mélodique — cette signature néo-rétro ayant contribué à forger un renouveau esthético-narratif dans les années 1980 au même titre que Jeunet & Caro ou Carax —, Ossang pourrait presque paraître “daté”, ce qui serait un comble, comparé à Mandico et autres Cattet & Forzani essaimant à qui mieux-mieux depuis quelques mois à coup d'hybridations jouissives sur les écrans. Ils sont les rejetons putatifs de ce daron perché ; à tout le moins, nagent-ils dans un courant voisin.

Cinéaste à éclipses (cinq longs métrages en une trentaine d'années), Ossang a décroché avec 9 doigts le Léopard pour la meilleure réalisation à Locarno. Une récompense ad hoc dans un festival depuis sa création voué aux formalistes obsessionnels ayant le goût du bizarre : il succède en effet au palmarès à João Pedro Rodrigues, Zulawski ou Philippe Ramos. Une collection de francs-tireurs sans doute, des stylistes assurément, dont l'influence, pareille à une bombe à fragmentation poétique, n'a pas fini de s'exercer sur les esprits.

9 doigts de François-Jacques Ossang (Fr., 1h38) avec Paul Hamy, Damien Bonnard, Pascal Greggory, Gaspard Ulliel… (21 mars)


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