Patricia Mazuy : « Il faut garder John Cale sur les rails sans l'empêcher de partir ailleurs »

Avec sa franchise bienvenue, la trop rare réalisatrice de Saint-Cyr ou Sport de filles évoque la conception de son thriller et tout particulièrement sa troisième collaboration avec l'ancien du Velvet Underground, compositeur de la bande originale de Paul Sanchez est revenu !


Est-ce l'affaire Dupont de Ligonnès en particulier qui vous a inspirée ?

PM : Je me suis surtout intéressée à une boulimie de Faites en entrer l'accusé : dans quel état cela nous met quand on s'abandonne dans les faits divers les plus morbides qui soient ? On est content de se coucher après en se disant « c'est pas nous ! ». Ce qui est rigolo au cinéma, c'est que l'on pousse les choses à l'extrême, on va plus loin que dans le réel — le film n'est pas du tout naturaliste. C'était bien de travailler cette matière-là.

Le film est très ancré dans le Var. Or peu de personnages, notamment parmi les gendarmes, ont l'accent du midi. Cela est-il voulu ?

Absolument. Parce que les gendarmes sont souvent mutés, il fallait qu'on retrouve cela — seuls deux ou trois ont l'accent. Et je ne voulais pas tomber dans le syndrome Gendarme de Saint-Tropez : on serait parti sur une autre piste, et on était certain de ne pas en sortir. Cela dit, quand j'étais en préparation dans le Var, dans cet arrière-pays qui fait rêver, j'ai découvert beaucoup de gens n'étant pas du Sud échoués dans ce paysage.

Autre élément sonore signifiant, la musique crée une ambiance très particulière. Vous avez à nouveau confié la partition à John Cale ; pouvez-vous nous en raconter la genèse ? 

Grave ! J'adore la musique de films — Bernard Herrmann, François de Roubaix, Ennio Morricone, les premières partitions de Ryuichi Sakamoto… tous les grands, quoi ! — mais je ne supporte pas dans quand on met une espèce de soupe pour faire semblant d'en avoir : ça me rend nerveuse.

Ici, on était sur un budget serré, et j'avais tout de suite dit que la musique serait pour moi un des éléments aussi importants que le rocher de Roquebrune où le fugitif se planque.

Comme je voulais un peu de jazz au début, je ne voulais pas reprendre John Cale parce que je me disais qu'il était trop carré, qu'il ne connaissait rien au swing, au soul ni à la musique provençale. Mais j'avais quand même du vécu avec lui : on a fait deux films ensemble ! Alors j'ai appelé sa manageuse en faisant part de mes doutes. Elle m'a dit de venir le lendemain à Cardiff. Et là, en arrivant, j'ai vu John avec vingt chanteuses de gospel de Harlem et de Londres. « T'as vu ? Il fait du soul ! » Bon, pas tout à fait, mais il essaie de bouger sa forme.

Comment avez-vous collaboré par la suite ?

Trouver le “son“ du film a été un vrai chantier, comme le tournage. Il nous a fallu 6 mois de travail entre la monteuse, moi et John Cale qui ne parle pas un mot de français et qui n'avait pas de traduction du scénario — pourtant ça nous aurait aidé.

John se fout du cinéma, il fait ça pour le blé, il pense à son prochain concert. Au début, il essaye de se débarrasser de la commande, mais ça dure une semaine.

Mais ce qui est excitant, c'est qu'il adore travailler la musique. Alors il envoie des trucs. On lui dit : « non, franchement John… » C'est comme avec un acteur : il faut trouver le bon mot, lui donner le bon truc : des mélodies. On travaille en maquette, tant qu'on n'a pas identifié des mélodies, on ne fait rien au synthé.

Comme il est altiste de formation, il essaie de mettre des cordes. Pour Marion, comme c'était une gendarme, je voulais une trompette — finalement, elle a bougé, elle est allée sur Sanchez, et Marion a eu la petite flûte provençale toute fragile et émouvante. Puis des tambours, un cor… Au finish, on a ajouté des cordes à la Herrmann pour le côté thriller sur des moments mélodiquement identifiés. Ensuite, il a fallu déterminer des thèmes. Il m'en envoyait dix ; on en gardait un. Il fallait le garder sur les rails sans l'empêcher de partir ailleurs : c'est comme ça qu'il a trouvé quelques-uns des plus beaux thèmes — qu'on a rajoutés. Ensuite, on l'a fixé au synthé. Poser les instruments dessus s'est fait comme manger du gâteau si l'on aime ça — c'était rigolo.

Cette musique a un important rôle narratif…

L'idée était de faire une musique provençale — un “provençal“ très John Cale — qui rentre dans la tête de la folie. Très étonnamment, au début, il n'y en a presque pas : quelques tambours, la petite flûte de Marion. Ensuite presque rien : un moment de fanfare avec un trombone merveilleux, puis plus rien pendant 35 minutes. Enfin pendant les dernières 40 minutes, il y a un côté opéra ; c'est complètement libre : elle devient un personnage.

C'est grâce à la musique qu'on a pu tracer le thriller au montage, resserrer le polar et aller tout droit sans avoir besoin d'explication psychologique sur le personnage de Marion.

Vous avez attendu sept ans entre Sport de filles et Paul Sanchez

Je m'y prends très mal ! (rires) J'ai voulu faire des films trop cher ensuite j'ai été embringuée sur un projets qui marchait pas. Il y a des tas de films qui devaient faire qui ne se font pas, j'ai habité en province — c'était trop tôt : il faut être Chabrol en fin de vie pour habiter en province ! Mais j'ai deux projets en cours : une commande faite à Yves Thomas [son coscénariste, NDR] et moi par le producteur de Paul Sanchez… pour un “thriller sexuel et violent“ Je trouve ça très dur, je suis très prude. Dans Paul Sanchez…, la scène de cul — vous dites cul ou baise — c'est pas facile parce que c'est toujours pareil au cinéma, je me suis pris le chou pour que ça soit intéressant ! Et ensuite, j'ai un projet de comédie qui se passe en 1928, voire 1932 pour être un peu plus cruelle avec le communisme, à Moscou avec un quiproquo. C'est l'inverse de Ninotchka.

Vous allez vous y diriger vous-même ?

Non. Je n'ai pas de rôle pour moi dans mon “thriller sexuel et violent“ ! (rires) Mais être acteur, c'est un super plan pour gagner de l'argent. Par rapport à réalisateur : l'engagement est intense mais ponctuel ; il ne prend pas trois ans de la vie.


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