"Le Temps des forêts" : Bois aux abois

Promenons-nous dans les bois tant qu'il y en a. François-Xavier Drouet enquête sur une dénaturation aberrante de la nature, et une mise en coupe réglée de la forêt au profit, bien évidemment, des profits… Logique et mérité Prix de la Critique à Locarno 2018


La planète n'est décidément pas sortie de l'auberge. Alors que l'effroyable modèle agricole intensif, gavé d'intrants phytosanitaires — à la nocivité reconnue par la communauté scientifique comme les tribunaux —, est sérieusement contesté par les consommateurs et les professionnels de la terre (préférant revenir à des pratiques moins standardisées, plus respectueuses de l'environnement comme la permaculture ou le bio), voilà qu'on découvre que la forêt est aussi atteinte. Plus discrète, la filière bois a elle aussi succombé à la tentation d'un productivisme débridé en “rationnalisant“ la sylviculture.

Tronc commun

Sillonnant les monocultures forestières, notamment celles du Morvan et du plateau de Millevaches, François-Xavier Drouet a observé le résultat de l'introduction massive d'une essence exogène choisie pour sa rentabilité exceptionnelle : le douglas. Conséquences ? Une pousse rapide, certes, mais un bilan écologique calamiteux. Car ces forêts industrielles nécessitent un apport chimique, ruinent le sol (le polluant en profondeur et à distance), appauvrissent la flore et la faune en étant littéralement “mortes“ pour toutes les autres espèces. À cela il faut ajouter les modifications pour les exploitants, forcés de devenir des bûcherons 2.0 et de s'endetter pour se doter de simulacres de Transformers — qui au passage ravagent les terrains —, les scieries, fortement concurrencées par la Chine. Et puis ce gaspillage scandaleux de pièces de qualité, réformées en bois de chauffe par commodité…

Drouet révèle cette course à l'abîme de la sylviculture, le désespoir des garde-forestiers, atterrés par la passivité (voire la complicité) de l'administration de l'ONF, mais aussi — heureusement ! — la combativité de ceux qui défendent la diversité de leurs forêts contre les appétits industriels. Quelques citoyens, municipalités conscients de l'enjeu ; ou un bûcheron à l'ancienne, usinant à la sueur et à la tronçonneuse, dans la solitude mais le bonheur.

La qualité d'un documentaire se mesure autant par la pertinence des informations qu'il délivre que par sa construction, sa forme ou son esthétique. Avec ce film fouillé, mélancolique, engagé et à l'image envoûtante François-Xavier Drouet creuse un sillon profond. Puisse-t-il être fertile ! 

Le Temps des forêts de François-Xavier Drouet (Fr., 1h43)


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