Le Clou de Bruxelles

L'intelligentsia française arborant le rictus qu'elle réserve aux compositeurs aimés du grand public, c'est à la Monnaie de Bruxelles, fin 1881, que triomphe "Hérodiade". Anobli "Chevalier de l'Ordre de Léopold" par la couronne belge, Massenet franchira, avec cette magnifique fresque lyrique, les portes du "Théâtre Italien" en 1884, du Palais Garnier en 1921, à titre posthume...


Si l'ouvrage recueille toujours les faveurs des capitales de l'opéra et des régions françaises, Paris le boude depuis 1947. Le livret irrite-t-il le lettré, qui s'écarte trop du conte de Flaubert Hérodias ? Les quelques libertés d'avec le récit biblique déroutent-elles l'exégète ? Un musicologue français s'exprime ainsi dans une célèbre publication de référence : « Mais pourquoi Massenet, une fois de plus, s'est-il contenté d'un livret défaillant, en dépit de la richesse du conte de Flaubert (…) et qu'en est-il de la musique lorsque le texte qu'elle accompagne s'avère dramatiquement pauvre ? » La messe est dite. Accuse-t-on Strauss avec sa Salomé inspirée du même conte, Bizet d'avoir martyrisé Mérimée, Berlioz crucifié Goethe, ou Mozart écorné Beaumarchais ? Oui, mais Massenet !

Prophète, mais pas en son pays

Ce systématique pincement de nez pour le mélodiste préféré des Anglo-Saxons est-il le symptôme de la faille sismique béante entre les élites françaises et le public populaire ? Le livret de Zardini, Milliet et Grémont convainc pourtant, si l'on prend soin de le lire. Le tétrarque Hérode s'entiche de Salomé. Cette dernière ignore qu'elle est la fille d'Hérodiade, conjointe délaissée du tétrarque. Salomé aime le prophète Jean-le-Baptiste, en plein prosélytisme anti-romain. Attisée par une Hérodiade ivre de vengeance, la jalousie du roi le pousse à exécuter Jean. Mère et fille se dévoilent alors, dans un grand élan lyrico-tragique. L'ouvrage, d'une vocalité titanesque, donne l'occasion à une école du chant français en pleine résurrection, de se réapproprier son patrimoine lyrique. En attendant le lever de rideau sur cet "opéra-péplum" digne de Cecil B. Demille, le mélomane pourra (ré)écouter les plus grands au disque: Domingo, Studer, Fleming, Pons, Hampson, Heppner… Des Français ? Oui, bientôt peut-être...

Hérodiade, du 14 au 18 novembre à l'Opéra de Saint-Étienne


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