Paul-Marie Claret / Cinéma Paradiso

Avec une certaine idée du cinéma de proximité, Paul-Marie Claret dirige Le Méliès avec passion du haut de ses 36 ans. Une mission qu'il mène depuis 2011, non sans difficulté, mais avec un dévouement qui inspire le respect. Portrait d'un homme entier dans tout ce qu'il entreprend.


C'est un homme passionné qui nous attend lorsque nous poussons la porte de la cave Demain les Vins, située comme par un heureux hasard juste en face des anciens locaux du cinéma Le Méliès. Paul-Marie Claret sait tout ce que cet emplacement représente dans l'histoire de l'institution cinématographique stéphanoise qu'il dirige depuis 2011. Le Méliès est en quelque sorte devenu "son fils", après avoir été celui de son prédécesseur Alain Cramier. C'est d'ailleurs dans le giron de ce dernier que Paul-Marie a pu faire ses gammes, lui qui,  petit, aimait déjà squatter les salles obscures. Mais avant d'arriver au poste de direction du Méliès Jean Jaurès et de créer le Méliès Saint-François (successeur du mythique cinéma Le France, situé rue de la Valse), ce fondu de pelloches s'est cherché pendant quelques années avant de trouver sa voie. Né en 82, ce Stéphanois "pure laine" a tout d'abord tenté sa chance en fac de droit, après son bac un peu par dépit... « Au départ, je voulais devenir journaliste, précise Paul-Marie Claret. J'ai raté Sciences-Po à 50 places près. J'ai ensuite voulu faire une fac d'histoire mais je n'ai pas pu et j'ai donc suivi deux ans de droit à Saint-Étienne. Mais cela ne m'a pas vraiment passionné. J'ai ensuite intégré à l'ISCPA, une école de journalisme à Lyon mais j'ai très vite arrêté pour partir vivre quasiment une année à Bruxelles. J'avais alors une caméra DV et j'ai commencé à réaliser quelques petits films. Mais j'ai eu le malheur de me faire voler cette caméra... » Cet événement stoppe net Paul-Marie dans ses pérégrinations belges. Il décide alors de partir six mois dans le Périgord pour s'occuper de 450 brebis. Changement radical et bouffée d'oxygène bienvenue avant un retour en terres stéphanoises et un coup de téléphone qui s'avérera décisif pour son avenir.

Le cinéma c'est ma passion depuis que je suis petit. Mon grand-père me montrait de nombreux films, mon père m'a initié également à la culture photographique...

Alain Cramier, un mentor

« De retour à Saint-Étienne, je reçois le coup de fil d'un ami proche du fils d'Alain Cramier, m'expliquant qu'il cherche un nouveau projectionniste, détaille Paul-Marie. Je n'hésite pas une seconde et je me retrouve donc à suivre un CAP projectionniste en contrat d'apprentissage au Méliès en 2006. » Après plusieurs bifurcations, il trouve enfin un métier correspondant à ses attentes. « Le cinéma c'est ma passion depuis que je suis petit, assène-t-il des étoiles plein les yeux. Mon grand-père me montrait de nombreux films, mon père m'a initié également à la culture photographique... J'ai un lien fort avec l'image depuis mon plus jeune âge. Je fréquentais déjà le Méliès à mes 12 ans. » Très vite, Alain Cramier confie la nouvelle programmation jeune Public à cet apprenti projectionniste qui donne tout pour son nouveau métier. Malheureusement, l'histoire avec Alain Cramier s'arrête nette en 2009. « La maladie a rattrapé trop vite Alain qui a disparu il y a tout juste 10 ans, le 22 janvier 2009 » explique, chamboulé, Paul-Marie Claret. Le choc est difficile à encaisser pour l'ensemble de l'équipe du Méliès. Et la question se pose vite de la reprise du cinéma indépendant. Marie-Christine Cramier se tourne alors vers le jeune projectionniste en lui demandant s'il peut proposer un projet pour continuer à faire tourner les bobines du cinéma indépendant.

Un pari risqué

Paul-Marie, encore jeune employé du Méliès, prend alors le temps de réfléchir avant de se lancer dans cette aventure un peu folle du haut de ses 26 ans. « J'ai rencontré plusieurs personnes pour obtenir des conseils et je me suis décidé à faire une proposition. Il faut bien se rendre compte que lorsque je reprends le cinéma, il accuse de nombreuses dettes et que je devais encore investir 450 000 Euros dans l'équipement numérique des salles. Bref, c'était la joie... explique l'intéressé avec son rire communicatif. Pour couronner le tout et parce que je devais ne pas en avoir assez, j'ai repris également le France une année plus tard. »

Devenir le patron n'est pas simple après avoir tissé des liens forts pendant 5 ans avec ses collègues de travail. Il a fallu que le rapport s'inverse, mais tout s'est bien passé.

Paul-Marie Claret, qui emploie aujourd'hui dix équivalents temps plein dans ses deux cinémas , prend du recul sur cette période en sachant les risques qu'il a pris. « Je me suis lancé tête baissée dans ce projet avec finalement assez peu d'appui. J'avais seulement la confiance de madame Cramier et le cadre juridique que j'avais construit autour de mon juriste et de mon expert-comptable. De 26 à 28 ans, j'ai donc pris le temps de me former à la gestion, de lire beaucoup. » Plus jeune salarié du Méliès lorsqu'il se lance dans son rachat, Paul-Marie Claret a dû changer de casquette avec toutes les difficultés que cela comporte. « Devenir le patron n'est pas simple après avoir tissé des liens forts pendant 5 ans avec ses collègues de travail. Il a fallu que le rapport s'inverse, mais tout s'est bien passé. »

Défendre une certaine idée du cinéma

Depuis maintenant 8 ans, le dirigeant tente de poursuivre une idée du cinéma de province donnant à voir une très grande variété de films, en VO et VF, et ce, malgré les difficultés croissantes. « J'ai repris un lieu, le Méliès Jean Jaurès qui a coûté cher à sa construction, sans forcément être réellement bien conçu, nous avons dû investir dans le numérique, gérer la reprise du France tout en faisant face à une concurrence devenue complètement folle avec le développement du nombre d'écrans dans la région et la multiplication des écrans personnels tels que les smartphones ou tablettes, détaille Paul-Marie Claret. Nous connaissons également des problèmes pour obtenir la diffusion de certains films du type Le Grand Bain, qui génèrent un grand nombre d'entrées pour nous. Par exemple, Green Book, a un plan de distribution en province seulement en VF... C'est dommage. Il faut bien se rendre compte que 10 à 15% de notre programmation permet de financer tout le reste. » Cette programmation, si chère à Paul-Marie Claret et pour laquelle il épaule l'incontournable Sylvain Pichon, donne tout leur charme aux deux Méliès. Par la diversité des films proposés – plus de 360 films différents ont été diffusés en 2017 au Méliès Jean Jaurès – mais également par les innovations sans cesse instaurées par le cinéma (les tickets de ciné suspendus, les séances Skype avec le réalisateur, les séances pour jeunes parents ciné-bébé...), le Méliès reste une institution culturelle indépendante phare de Saint-Étienne. Une réelle chance pour cette ville, grâce à l'abnégation et la motivation de Paul-Marie Claret.


Ses trois films du mois de janvier

- Border,   de Ali Abbasi (sortie le 9 janvier)
La Mule, de Clint Eastwood avec Clint Eastwood, Bradley Cooper... (sortie le 23 janvier)
- Un grand voyage vers la nuit, de Bi Gan avec Tang Wei, Huang Jue... (sortie le 30 janvier)

Son bon plan : 

Des rattrapages cinéphiles avec le festival Télérama du 16 au 22 janvier au Méliès Saint-François


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