"Grâce à Dieu" : La voix est libre

D'une affaire sordide saignant encore l'actualité de ses blessures, Ozon tire l'un de ses films les plus sobres et justes, explorant la douleur comme le mal sous des jours inattendus. Réalisation au cordeau, interprétation à l'avenant. En compétition à la Berlinale 2019.


Lyon, années 2010. Fervent chrétien de quarante ans, Alexandre découvre qu'un prêtre ayant abusé de lui lorsqu'il était jeune scout est encore au contact de mineurs. Il saisit donc la hiérarchie épiscopale et Mgr Barbarin afin que le religieux soit écarté. Un long combat contre l'hypocrisie, l'inertie et le secret s'engage, révélant publiquement un scandale moral de plusieurs décennies…

Il faut en général une raison impérieuse pour qu'un cinéaste inscrive à sa filmographie une œuvre résonant avec l'histoire immédiate. Surtout si l'originalité de son style, sa fantaisie naturelle et ses inspirations coutumières ont peu à voir avec la rigueur d'une thématique politique, sociétale ou judiciaire. De même que Guédiguian avait fait abstraction de son cosmos marseillais pour Le Promeneur du Champ de Mars, François Ozon pose son bagage onirique pour affronter un comportement pervers non imaginaire dans un film filant comme une évidence dès la première image du trauma à la révélation. A-t-on déjà vu en France pareille écriture scénaristique, à la fois méthodique et limpide, dans l'adaptation d'un fait divers brûlant ? Rarement, pour ne pas dire jamais.

Peu importe pourquoi Ozon s'est lancé dans cette entreprise ; sa réussite est en tout cas patente. Parce que le film, d'une froideur clinique extrême, ne cherche jamais à romancer ni surdramatiser des faits avérés. Sans jeter toute l'Église avec l'eau du baptême, il dévoile des mécaniques obscènes visant à minorer le crime ou nier les victimes, et montre l'édification d'une résilience grâce à plusieurs voix se succédant. Alexandre, François, Emmanuel… trois évangiles dont les messages se complètent jusqu'à la vérité. Une approche on ne peut plus chrétienne, non ?

Procès dur

La tentative désespérée — désespérante d'un certain point de vue — des défenseurs du père Preynat, assignant en référé le cinéaste afin d'obtenir le report de la sortie du film au motif qu'il “portait atteinte à la présomption d'innocence de personnes (…) pas encore jugées“, laisse songeur. François Ozon ne peut en effet guère être taxé de diffamation lorsque ses protagonistes font, par exemple, état de lettres dans lesquelles le père Preynat confesse ses actes pédophiles et demande pardon à ses victimes : Ozon se borne à citer des pièces du dossier, à recouper des sources et des témoignages notoires — grâce à la presse, et surtout au courageux travail abattu par l'association des victimes, La Parole libérée.

Maîtres rhéteurs, sensibles au moindre atome du discours et aptes à relever ce qui contreviendrait à la loi, les avocats peuvent aussi entendre lorsqu'une parole heurte la morale — comme quand Philippe Barbarin évoquant l'affaire, avait lâché : « la majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits ». Et si leur conscience les avait incité à lancer cette procédure pour produire un effet Streisand ? Il n'est pas défendu de croire…

Grâce à Dieu de François Ozon (Fr., 2h17) avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud…


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