"Rosie Davis" : Sans toit, mais ensemble

Une famille irlandaise à la rue vit dans sa voiture en attendant de trouver un logis. Paddy Breathnach traduit concrètement dans ce portrait épique façon Dardenne la flambée libérale actuelle où la fierté et la combativité empêchent, pour l'instant, ses personnages de sombrer.


Dublin, de nos jours. Jeune couple avec quatre enfants, les Davis ont dû quitter leur maison vendue par leur propriétaire. En attente d'un relogement, cette famille de travailleurs pauvres campe d'hôtel en hôtel. Ça ira mieux demain, mais d'ici demain, il faut trouver un toit où passer la nuit… 

Deux jours dans la vie d'une famille. Quarante-heures scandées par la litanie des appels aux hôtels accrédités par les services sociaux de la ville, tous soldés par la même fin de non-recevoir. Recluse avec ses quatre enfants dans l'exiguïté de leur monospace, Rosie la mère courage ne se décourage pas et enchaîne les appels tout en incitant l'aînée à faire ses devoirs, en jugulant les bouffées turbulentes du fils, en consolant la cadette et en veillant sur le doudou de la benjamine. Pendant ce temps, le père fait des heures sup'… Les années 1980 avaient connu les “nouveaux pauvres“, désignant la population marginalisée à la fin des Trente Glorieuses ; voici que se banalise le concept de travailleurs pauvres, exclus du “luxe“ que constitue désormais un toit. Objectivement, la famille Davis se retrouve au moins temporairement SDF, mais Rosie récuse violemment ce terme porteur de déclassement ultime et de honte, arguant même que ses enfants “sont propres“ pour évacuer le sujet lorsque la directrice d'école tente d'aborder leurs difficultés.

Rester digne

Jeunes, sains, unis, se battant pour ne pas sombrer (comme le recommandent fièrement nos élus, avec l'ingénuité des repus), les Davis n'ont rien des sans-dents loachiens, déjà condamnés ou vaincus. Et c'est justement cela qui rend leur drame plus saisissant. D'autant que Paddy Breathnach fuit tout misérabilisme, désamorçant le moindre cliché ; au contraire essaie-t-il d'inscrire dans ce cadre contraint des événements banals pour une famille qui, ici prennent des dimensions considérables : le crédit du téléphone épuisé, une chamaillerie à l'école, une ado manquant à l'appel… autant de gouttes d'eau supplémentaires susceptibles de faire chavirer le fragile équilibre des apparences. 

Haletant comme un thriller, stupéfiant de naturel — des enfants qui ne surjouent pas, quel bonheur ! —, terriblement lucide, Rosie Davis n'est pas sans évoquer une version contemporaine des Raisins de la colère. Ce qui n'a rien de rassurant, hélas.

Rosie Davis de Paddy Breathnach (Irl., 1h26) avec Sarah Greene, Moe Dunford, Natalia Kostrzewa…


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