La recette est simple


Depuis quelques années, une énergie musicale pousse de plus en plus fort de l'autre côté de l'Atlantique, au Québec. Le rap local s'exporte de mieux en mieux à l'instar de la scène belge. Outre les incontournables et historiques tels que Koriass, de nouvelles têtes ont percé le mur du son. Loud qui a rempli les salles en France l'année dernière ou encore les Alaclair Ensemble et autres Dead Obies sont devenus des valeurs sûres. Mais d'autres formations ne doivent pas être oubliées. Par exemple Random Recipe. Depuis plus de 10 ans, ce groupe remue les scènes où il se produit. En 2018, le quatuor devenu trio a sorti un troisième album flamboyant aux paroles engagées : Distractions. Ce disque rempli de bonnes ondes sonores (jetez une oreille au premier titre Fight this feeling ou à Strawberry Daiquiri) mêle inspirations tropicales, flow ciselé et ambiances groovy. Pour composer les huit titres de ce recueil musical, Fabrizia Di Fruscia, Frannie Holder and Liu-Kong Ha ont fait appel à différents collaborateurs de renom : Foxtrott, la bassiste Rhonda Smith (ayant travaillé avec Prince) ou encore Marie-Pierre Arthur. Un disque qui porte divinement bien son nom et donne de la matière au groupe pour continuer son bazar scénique.

Random Recipe +  Irène Drésel, mardi 2 avril à 20h30 à la salle du Grand Marais à Riorges


Random Recipe : « Le groupe est plus en paix que jamais »

Fab et Frannie ont accepté de répondre à quelques-unes de nos questions depuis le Québec. Voici in extenso leurs réponses.

Petit Bulletin : Votre 3e album Distractions, comporte de nombreuses collaborations dont Marie-Pierre Arthur, Rhonda Smith... Comment avez-vous procédé pour attirer toutes ces signatures ?

Frannie : Nous les avons tout simplement contactées en leur expliquant la démarche féministe derrière cet album. Elles étaient curieuses et enthousiastes à l'idée de travailler avec nous !


La sortie de Distractions a été le résultat d'un long travail et processus avec des questionnements forts. Pourriez-vous revenir sur ce travail ?

Frannie : Oui nous nous sommes demandées s'il était pertinent pour nous de continuer. Aujourd'hui, dans l'industrie musicale, l'accent est vraiment mis sur les nouveaux artistes, on s'intéresse de moins en moins à l'évolution d'un artiste dans le temps. On a tendance à l'abandonner pour "le nouveau truc". Sans minimiser l'importance de ce que les nouveaux artistes injectent dans l'univers musical, je crois qu'il est fondamental de s'intéresser à l'évolution de ces artistes dans le temps. Les années et expériences permettent d'articuler une démarche, préciser des intentions, etc. D'un coup, la création est le résultat de choix conscients et réfléchis plutôt qu'un heureux hasard. On s'est dit que ça serait dommage que des voix comme les nôtres disparaissent alors qu'on sait plus que jamais ce quoi dire.

Sans minimiser l'importance de ce que les nouveaux artistes injectent dans l'univers musical, je crois qu'il est fondamental de s'intéresser à l'évolution de ces artistes dans le temps.

On sent des influences tropicales dans cet album. Pour quelles raisons ?

Fab : Notre nouvelle formation (Fab, Frannie et Liukong) avec la section rythmique qui se retrouve en majorité, apporte une dimension de fraîcheur à notre son. Nous avons réussi à donner de l'espace aux rythmes et aux percussions dans notre musique, en jouant plus de steeldrum et en travaillant plus profondément sur les signatures des beats. La musique dite "tropicale" nous a toujours inspirée, mélodies et/ou rythmes, mais en ayant eu la chance de tournée en Amérique Latine pour la première fois en 2016, on a réussi à approfondir notre recherche et à s'ouvrir plus dans notre créativité sonore. Ceci a aussi fait ressortir davantage les paroles et on a eu un énorme plaisir à co-écrire des lignes de basse qui se marient super bien aux beats ! Groovy, dancy, tropical heat ! 

Est-ce que vous êtes aujourd'hui un groupe plus soudé que jamais ?

Frannie : Oui et non. Un groupe c'est toujours un équilibre particulier, passé la lune de miel du début. Je crois que le groupe est plus en paix que jamais, parce qu'on a accepté l'écart entre nos besoins, nos priorités, nos intentions, nos goûts, notre rythme, nos disponibilités, etc. Donc il y a quelque chose d'assez doux dans notre façon de fonctionner, de communiquer. On se voit moins à l'extérieur du travail que lorsqu'on était dans notre vingtaine. Faute de temps mais aussi parce qu'on passe tellement de temps ensemble sur la route, que lorsqu'on arrive à la maison, on retourne chacun dans nos vies. Je trouve que cet espace est tellement nécessaire, autant d'un point de vue créatif qu'humain.

Le rap québécois donne l'impression d'exploser ces dernières années avec notamment Loud, Larry Ajust, Dead Obies, etc. Vous, ça fait maintenant plus de dix ans que vous existez. Quel regard portez-vous sur cette scène rap québ' ? 

Frannie : Le rap Keb joue maintenant à la radio et atteint des publics beaucoup plus larges qu'il y a dix ans. La scène du rap keb que vous mentionnez fait à mon sens partie de la pop, de la culture dominante. Il y a aura toujours un rap keb underground, lié à d'autres enjeux et pulsions de créations. Les femmes sont malheureusement sous-représentées dans cette scène, comme dans la plupart des scènes musicales. Nous n'avons jamais fait partie de la scène rap Keb. Nos influences, nos affiliations, etc. Ce qui est super intéressant de noter, c'est que la scène de femmes dans le rap au Québec (tous les styles de rap) est extrêmement soudée (et elle l'était déjà il y a 10 ans, avec d'autres artistes rap féminines qui nous ont pris sous leur aile à nos débuts). On se soutient toutes, même si nos propositions musicales et artistiques sont vraiment différentes.

Il y a aura toujours un rap keb underground, lié à d'autres enjeux et pulsions de créations. Les femmes sont malheureusement sous-représentées dans cette scène, comme dans la plupart des scènes musicales. Nous n'avons jamais fait partie de la scène rap Keb.

Quand vous jouez en Europe et notamment en France, adaptez-vous votre live ?

Fab : Oui ! Chaque concert est personnalisé. On suit l'énergie de la foule, de la salle de spectacle, on a toujours des péripéties à raconter. Notre liberté sur scène fait partie de la magie de Random Recipe.

Pour revenir sur Distractions, vous avez fait le choix de l'auto-produire. Pour quelle raison ?

Fab : Plusieurs, dont celle de notre indépendance. Produire un album par crowd-funding a été une vraie motivation pour Distractions. De voir la réaction positive de notre communauté (fans au Canada et à l'international, amis, familles), acheter notre album avant même qu'ils sachent ce qu'on allait écrire, c'était vraiment très encourageant ! Ils nous ont fait confiance, ils ont pris le risque avec nous, ils nous ont prouvé qu'on avait encore notre place pour exister.

Comment avez-vous travaillé la composition ?

Fab : En plusieurs étapes : la première étape était de se retrouver en tant que nouvelle formation (Vincent Legault, notre guitariste et arrangeur est parti en 2015) et de trouver pourquoi serait-il encore pertinent de faire un album pour Random Recipe. Les questions de nos rôles d'artiste par rapport à notre diversité culturelle, ainsi que notre position en tant que femmes, ont tout de suite pris le dessus de nos sujets de conversations et créations. Qu'avions nous à dire sur ces sujets ? Après dix ans de carrière, pouvons-nous jouer un rôle important de modèles et d'inspirations pour des communautés "minoritaires" dans la société occidentale d'aujourd'hui ?

La deuxième étape a été un travail assez ardu : rassembler le plus de talents locaux et internationaux féminins. C'est comme ça qu'on a trouvé quelques femmes-clés pour l'écriture et la production de Distractions. La bassiste Marie-Pierre Arthur nous a accompagnés dans l'écriture des lignes de basse sur la plupart des titres de cet album. La production méticuleuse et le sound-design de la productrice Foxtrott a porté nos idées à un niveau supérieur et l'acceptation de Rhonda Smith de jouer sur deux de nos titres favoris et festifs sur l'album nous a donnés une grande motivation, et une magie qui nous suit depuis.

Après avoir réussi à inclure une vingtaine de femmes de l'industrie (musiciennes, rappeuses, productrice, mastering, designer de pochette, designer de vêtements, chorégraphes), il ne nous reste qu'à voyager dans le monde, parler de cette exploration que nous avons faite et espérer d'inspirer tous les générations de gens.
L'étape finale a été une conclusion ouverte ; nous avons réussi à traduire quatre titres de l'album en espagnol, en invitant des femmes d'Amérique Latine à participer sur l'album (chant et rap), pour donner une autre saveur, pouvant communiquer à un immense bassin de gens qui nous inspire depuis le tout début de l'existence de Random Recipe


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Garance Damart / Maîtresse du jeu