Au quartier ? Pour l'appel ?


Rien ne prédisposait le plus joué des opéras de la terre à cet universel destin. Comment expliquer alors, ce timide démarrage en 1875, suivi seulement d'une trentaine de représentations du vivant de Bizet ? Du Locle, directeur de l'Opéra-Comique juge l'ouvrage "déplacé" : « C'est de la musique cochinchinoise » s'exclame-t-il. Il est vrai que les abonnés de cette honorable institution sont accoutumés aux jolis refrains de La Dame Blanche (Ah ! Prenez Garde !), tandis que l'intelligentsia succombe à l'avant-garde wagnérienne, et que la critique affûte ses dagues pour éreinter une niaiserie de plus. Tandis que la IIIe République babille encore, Bizet meurt prématurément, terreau propice de toutes les légendes. Pourtant, la moiteur andalouse, la fumée des cigarières, l'hypertrophie virile du toréro, face à un héros trop sensible aux injonctions maternelles et à leur transgression, la beauté des airs de Micaëla, tout concourt à l'édification du chef d'œuvre. Alain Guingal, habitué des grandes boutiques, saura assurément insuffler force et vigueur à un ouvrage fredonné par tant de lèvres, tandis que le mezzo-soprano très sûr d'Isabelle Drouet fera fondre les plus virulents activistes des ligues anti-tabac.

Carmen de Bizet, du 12 au 16 juin, Opéra de Saint-Étienne


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Samuel Tilman : « Le spectateur doit prendre position »