"Parasite" : Coucous, c'est nous !

Une famille fauchée intrigue pour être engagée dans une maison fortunée. Mais un imprévu met un à terme à ses combines… Entre "Underground" et "La Cérémonie", Bong Joon-Ho revisite la lutte des classes dans un thriller captivant empli de secrets. Palme d'Or 2019.


Recommandé par un ami étudiant, Kevin devient le professeur d'anglais de la fille de riches Coréens, les Park. Ce faisant, il tire un peu sa famille de sa misère. Puis, grâce à d'habiles ruses, sa sœur, son père et sa mère finissent par se placer chez les Park. Jusqu'où cela ira-t-il ?

Un film asiatique montrant une famille soudée vivant dans la précarité, devant astucieusement flirter avec la légalité pour s'en sortir… Les ressemblances avec Une affaire de famille s'arrêtent là : quand Kore-eda privilégiait la dramédie, Joon-Ho use du thriller psychologique teinté d'humour noir pour raconter une fable sociale corrosive bien qu'elle elle ne soit pas exempte de traits caricaturaux — après tout, la persistance d'une dichotomie franche entre une caste de super-riches et une d'infra-pauvres ne constitue-t-elle pas une aberration grotesque pour une société censément civilisée ? 

Certes, la famille Ki-taek se rend bien coupable de faux en écriture ainsi que de quelques machinations visant à congédier les employés occupant les places qu'ils convoitent, mais leur malhonnêteté reste “relative“ : ils aspirent à être rémunérés contre un emploi dûment effectué, non à vivre aux dépens de leur hôte — on devrait parler de symbiotes plutôt que de parasites. Ce n'est pas le cas de tous les protagonistes, dont certains cachent bien leur jeu…

À la ligne

Bong Joon-Ho fait évidemment de la question de la dissimulation et du masque l'un des axes majeurs de son film, multipliant les lieux ou langages secrets (journal intime, code morse, cachettes etc.). Une division de l'espace entre le visible et l'invisible qui renvoie à une autre séparation territoriale cardinale : entre le domaine des propriétaires et celui des employés. Souvent illustrée au cinéma de La Règle du jeu à Gosford Park en passant par La Cérémonie, cette démarcation symbolique trouve un écho “métaphorique“ — pour reprendre l'un des termes favoris de Kevin — supplémentaire dans ce pays scindé en deux états diamétralement opposés du point de vue politique et économique qu'est la Corée, où la frontière reste un tabou. L'idée qu'un de ses employés « franchisse la ligne » constitue d'ailleurs pour M. Park la pire des transgressions. Comment ne pas voir dans l'arrogance repue de cette famille aisée ne jurant que par les États-Unis ou l'entregent, et se pinçant le nez quand l'odeur du cloaque où vit un prolétaire lui heurte les narines, une parabole caustique de la situation éprouvée par la société sud-coréenne vis-à-vis d'un Nord déshérité ? Dans les ultimes minutes, on se surprend en tout cas à penser que Joon-Ho a signé un film sacrément révolutionnaire. Pas uniquement parce que le fond de l'écran est bien rouge…

Alors, Palme méritée ou pas ? Exprimer un avis sur la légitimité d'un trophée lorsque l'on n'appartient pas au jury qui l'a décerné (et qu'a fortiori l'on n'a vu que la moitié des films en question) revient à valider ou désapprouver le consensus de neuf subjectivités qui s'en moquent, et n'a donc peu d'intérêt. On peut en revanche supposer que Bong Joon-Ho (qui aurait eu la Palme tôt ou tard) fait partie de ces cinéastes récompensés davantage pour la constance de leur œuvre — ou avec un temps de retard — que pour ce film en particulier. Il n'est en effet pas défendu de penser qu'après le “manqué” Okja (2017), absent du palmarès cannois pour cause d'intransigeance du producteur Netflix (qui refusait de lui accorder une sortie dérogatoire en salle), le jury 2019 ait choisi cette honnête compensation. À ceux qui rentrent dans le rang, il sera toujours beaucoup pardonné.

Parasite de Bong Joon-Ho (Co. du S., avec avert. 2h12) avec Song Kang-Ho, Cho Yeo-jeong, So-Dam Park…


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