Myriam Peres, de l'idée à l'objet

Le concours "révélateur de talents", organisé par la marque Cinna, récompense chaque année les meilleurs jeunes créateurs du moment. En 2019, c'est Myriam Peres, une Parisienne tout juste diplômée de l'ESADSE (École supérieure d'art et design de Saint-Étienne), qui a remporté le premier prix de la catégorie "outdoor" avec son "Jardin d'hiver".


« Je pense qu'il ne faut pas faire du design pour soi. » Pour Myriam, la lauréate du concours Cinna 2019, le travail d'un designer est avant tout de créer un objet destiné à l'usage des autres. « Nos créations ne doivent pas être des gadgets. Elles doivent être légitimes, avoir leur place dans le monde réel » explique-t-elle. 

Si créer comporte son lot de responsabilités, Myriam s'est formée à les endosser aussi bien au cours de son cursus qu'au travers de sa passion pour le dessin. Aussi loin qu'elle se souvienne, elle a toujours eu la fibre créatrice. « J'ai commencé à gribouiller à deux ans, puis j'ai dessiné, dessiné, dessiné tout le temps... j'adore ça ! » Mais ce format présente rapidement pour elle certaines limitations. « Quand tu dessines, explique-t-elle,  c'est forcément en 2D et moi je voulais donner du volume à tout ça. Le design d'objet répond à cette envie. » 

Dessiner le réel

Le "déclic", elle l'a eu en visitant l'école ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) à Paris. Elle se rappelle de « l'odeur du bois et des ateliers de menuiserie. Il y avait tous ces gens qui s'activaient, un véritable lieu de vie. » En prépa artistique à l'époque, elle apprend le dessin, le modèle vivant, le nu et tente, au cours de l'année, 13 concours différents. « J'étais tarée ! » plaisante-t-elle. 

J'ai commencé à gribouiller à deux ans, puis j'ai dessiné, dessiné, dessiné tout le temps... j'adore ça !

Mais visiblement, la folie paie. Elle est acceptée au sein de l'École Supérieure d'Art et Design de Saint-Étienne (réputée comme étant la deuxième meilleure école de design de France, NDLR), où elle étudie pendant six ans en "mention objet". Pendant ses études à l'ESADSE, Myriam participe à plusieurs projets d'envergure.

Toujours plus

À l'occasion de la Biennale internationale du design de Saint-Étienne 2017, elle conçoie le banc We need to talk. L'œuvre rend hommage au Pénétrable de Jésus-Rafael Soto et l'adapte au mobilier urbain. « Je voulais recréer à plus petite échelle cette pluie de fils bleu qui nous coupent du monde » précise-t-elle. Avec ces myriades de cordelettes qui cachent l'usager, elle installe dans l'espace public,  « un endroit où l'on puisse s'asseoir et parler sans être trop aperçu. » 

Elle prend part, en mars dernier, à l'exposition Stefania pendant la Biennale 2019. Cette œuvre, entièrement réalisée par des étudiants de 28 écoles européennes et chinoises, prend la forme d'une ville utopique. Chaque groupe d'étudiants met en forme un bâtiment et ensemble donnent naissance à une véritable cité à l'intérieur-même de la Cité du Design. « Nous, on travaillait sur la mairie,  mais il y avait aussi l'école, la serre, le club, la station-service, etc » détaille-t-elle. 

C'est également en mars 2019 qu'elle se voit décerner le 1er prix du concours Cinna pour sa création Jardin d'hiver. Un fauteuil qui offre une utilisation adaptée au temps et aux saisons. Une coque en tressage rotin permet de s'isoler des rayons du soleil en créant une alcôve ombragée. « Pour l'outdoor, le rotin ou l'osier correspondaient à des matériaux qui m'intéressaient. C'est quelque chose que j'ai souvent vu en extérieur chez mes parents par exemple » raconte-t-elle avant d'ajouter,  « j'ai d'abord cherché des formes, directement à partir du matériau. Je travaille souvent de cette manière. »

Le temps de la réflexion

Pour son travail de recherche, ses influences ont été nombreuses et variées. C'est un fastidieux processus créatif dont Myriam détaille les étapes. « Je me suis intéressée aux anciens couffins pour bébés et pour poupées, ou alors des berceaux faits en osier. Cette forme-là, cet ovale tronqué, je me suis dit que j'allais un peu le détourner, le reprendre et le transformer en réel objet. » Réunir ces idées, pour en faire un concept cohérent, requiert pour elle un certain travail en amont. En début de projet,  « j'ai une longue phase de "veille"... parfois trop longue », reconnaît-t-elle volontiers, mais « ce n'est pas de la procrastination », lance la jeune femme.

Trouver un compromis entre ce qui est faisable et ce que l'on a envie de faire. Mais ce qui est intéressant, c'est de relever le défi et de rester fidèle à son dessin, en dépit des difficultés !

C'est pendant cette période que « je vais emmagasiner des textes, aussi bien des romans que des interviews, des images ou des films. Je vais faire un agglomérat, une liste, récolter et collectionner de multiples choses » récapitule-t-elle. « J'accumule plein d'idées, puis je les trie et je les filtre. Enfin, je vais pondre quelque chose qui a un rapport... ou pas. » Elle ne fait pas forcément une synthèse de ses observations. Parfois, cette collecte d'informations constitue pour elle un terreau fertile où germent de nouvelles idées. 

Après avoir laissé libre cours à son imagination vient le retour, parfois difficile, à la réalité. Il lui faut, maintenant, composer avec les contraintes techniques de l'objet à créer. Face à l'écueil de la faisabilité, le projet connaît de nombreuses modifications. Au final, pour la jeune designer, le challenge est de trouver « un compromis entre ce qui est faisable et ce que l'on a envie de faire. Mais ce qui est intéressant, c'est de relever le défi et de rester fidèle à son dessin, en dépit des difficultés ! » 

Le design de demain

Ayant tout juste décroché son diplôme, Myriam s'apprête à entrer pour de bon dans le monde professionnel. Si elle a gouté à l'exotisme du design "à l'américaine" au cours d'un stage chez Sebastian ErraZuriz, elle souhaite désormais, « aller vers du design objet plus classique, vers une boîte qui est plus petite, peut-être un petit peu plus intime. J'ai quelques idées mais je ne vais évidemment pas name-dropper (littéralement "lâcher des noms", NDLR) ! », déclare-t-elle. 

En plus des exigences des commanditaires, des normes de sécurité, des choix esthétiques et des limitations techniques, elle estime qu'il « faut une certaine éthique dans ce métier », notamment dans le choix des matériaux. « Nous humains,  on nait, on vit et on redevient poussière. Pour les objets, c'est pareil. Il faut prendre ça en compte quand on crée quelque chose » soutient-elle.

Myriam, ainsi que les autres jeunes créateurs rentrant sur le marché du design, seront amenés à concevoir les objets qui composeront nos villes de demain. Une responsabilité, dont elle a pleinement conscience. 


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