L'École-Musée Chappe, l'enfance de l'art

Une fois n'est pas coutume c'est d'un lieu, non pas d'une personne, dont nous dressons ce mois-ci le portrait. Septembre oblige, c'est la rentrée, à la fois celle des classes et celle de la culture. Nous sommes donc allés visiter une école stéphanoise plutôt atypique, l'École-Musée Chappe. Nous y avons rencontré le jeune directeur de "la maternelle", Jérémy Rousset, pilote d'un projet aussi original qu'audacieux.


Nous sommes bien ici dans une école publique. Les frères Chappe qui donnent leur nom à l'école n'étaient pas des religieux, mais une fratrie de cinq frangins à l'origine du télégraphe. Dont acte. C'est dans la salle des profs commune, entre le photocopieur et la cafetière, que Jérémy Rousset nous reçoit, tout sourire, à quelques jours de la rentrée. Enseignant depuis 2007, Jérémy a presque toujours travaillé en réseau d'éducation prioritaire (REP), avec une petite parenthèse australienne. Il est arrivé dans cette école en 2013 où il assure la direction de l'école maternelle tout en ayant lui-même la charge d'une classe à mi-temps. «  L'école maternelle compte sept classes et l'école élémentaire 17 classes, pour un total d'environ 500 élèves. Nous avons une vraie mixité sociale, à l'image du centre-ville de Saint-Étienne et plus précisément du Crêt de Roch, avec à la fois des familles parfois en grande précarité et d'autres plus middle class, voire favorisées. » Une mixité dont on fait ici une richesse, grâce à un projet novateur qui permet de rassembler tout le monde autour d'une culture commune. L'élément déclencheur fut sans doute la venue à l'école du couple de street artistes stéphanois, Ella et Pitr, en 2015. Toutes les classes se sont alors mises en mouvement autour du travail des célèbres papiers-peintres  : les plus petits travaillaient sur des motifs à l'encre de Chine, tandis que du CP au CM2, on planchait sur les cadres d'un trombinoscope. Cette année-là, toutes les photos de classe ont été prises dans un cadre géant, au cœur d'une anamorphose réalisée par le duo. Jérémy explique. «  Nous avons compris que les exploitations pédagogiques seraient nombreuses si l'on poursuivait dans ce sens, en continuant à inviter les artistes à nous rendre visite.  »

Changement de braquet

L'équipe éducative décide alors de passer à la vitesse supérieure, laissant l'art urbain entrer par toutes les fenêtres, au gré des opportunités, des contacts et des envies de chacun, sans pour autant se laisser enfermer dans cette voie. « On ne fait ici pas plus d'heures d'arts visuels qu'ailleurs car, comme dans toutes les écoles, il se vit aussi des choses importantes dans les autres matières. Notre projet se veut d'ailleurs le plus transversal possible. » En quatre ans, 25 artistes urbains sont ainsi venus à la rencontre des classes, laissant derrière eux près de 80 œuvres disséminées dans toute l'école, à l'intérieur des bâtiments comme dans les espaces extérieurs. Jérémy Rousset précise  : « Nous nous débrouillons globalement avec les moyens du bord, comptant sur la générosité des artistes. Au-delà d'une subvention du Conseil Départemental et du soutien logistique de la mairie, notre projet est autofinancé à hauteur de 85% par la vente de gâteaux ou de badges. On est vraiment là dans le DO IT YOURSELF  ! » Le concept d'école-musée constitue aujourd'hui une bien belle vitrine pour l'établissement qui a gagné près de 200 élèves en 10 ans et qui voit ses effectifs grandir encore. Odile, professeure des écoles, découpe des bandes de papier sur une table voisine. Elle confirme  : « Il y a une dizaine d'années l'école avait encore mauvaise réputation, mais les choses ont vraiment évolué.  » 

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Quand l'art fait débat

Chaque fois qu'un nouveau plasticien débarque à l'école, les élèves font d'abord l'expérience sensible d'une performance artistique avant d'apprendre à décrypter le propos ou le message de l'oeuvre. Loin des grands poncifs, les débats qui naissent alors permettent d'incorporer des questions sociétales que les enfants vivent eux-mêmes dans leur chair au quotidien, comme l'égalité filles-garçons, l'identité et l'immigration... Intervient enfin la phase de création artistique au cours de laquelle les élèves se nourrissent de ce qu'ils ont découvert, sans forcément singer les artistes. «  La venue d'artistes comme le Chinois Liu Bolin laisse à tous des souvenirs très forts, mais nous proposons aussi à nos élèves une expérience de la musique. Certains enfants ont pu rencontrer au Fil le chanteur Oldelaf ou Les Ogres de Barback, mais surtout deux concerts ont eu lieu dans l'école, avec notamment celui de la Dub Incorporation. » Répondant à l'invitation de l'école Chappe mais ne pouvant se déplacer jusqu'à Saint-Étienne, l'artiste américain Shepard Fairey, rendu célèbre par son portrait Hope de Barack Obama, s'est tout de même fendu de deux sérigraphies dédicacées offertes à l'établissement. Jérémy aimerait beaucoup inviter Invader, le célèbre artiste anonyme qui envahit les espaces publics du monde entier avec ses personnages de jeu vidéo en mosaïques. « Généralement je m'occupe de la prise de contact avec les plasticiens. Mais cette fois-ci, comme nous ne savions pas vraiment comment contacter l'artiste, ce sont les élèves eux-mêmes qui ont lancé un appel sur les réseaux sociaux. » La truculente vidéo, bourrée d'humour et sous-titrée en anglais, est rapidement devenue virale sur Facebook. Aux dernières nouvelles, Invader aurait bien pris connaissance de l'invitation  : affaire à suivre  !

« La pédagogie de projet comme l'art urbain permettent de questionner le monde de façon concrète et vivante »

Après le succès l'an passé des Journées Européennes du Patrimoine avec près de 500 visiteurs, l'école a reçu tout au long de l'année la visite de nombreuses classes d'écoles primaires, de collèges ou de lycées, venues du département comme de l'étranger. En jouant pleinement leur rôle de guide, les enfants sont au final de plus en plus acteurs du dispositif. « Si le projet a si bien pris, c'est sans doute parce qu'il crée du collectif, du vivre ensemble. Il donne aussi du sens aux autres apprentissages en ouvrant l'école sur l'extérieur. La pédagogie de projet comme l'art urbain permettent de questionner le monde de façon concrète et vivante. C'est donc beaucoup de plaisir partagé entre les élèves, les intervenants, les enseignants et les familles. » Pendant les vacances d'été, les productions des élèves ont été retirées des murs, laissant place nette pour la nouvelle rentrée. Car Jérémy Rousset et son équipe ne comptent pas s'endormir sur leurs lauriers. Les futures interventions artistiques sont d'ores et déjà calées pour l'année scolaire qui s'ouvre. Mais avant, rendez-vous est pris pour les toutes prochaines Journées du Patrimoine : samedi 21 septembre de 10 à 18h, les jeunes élèves guideront à nouveau les visiteurs dans cette singulière école-musée dont ils peuvent être fiers.

École-Musée Chappe, 3 impasse Noël Mazet à Saint-Étienne

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