"L'Angle Mort" : Au revoir mon amour

De Patrick-Mario Bernard & Pierre Trividic (Fr., 1h44) avec Jean-Christophe Folly, Isabelle Carré, Golshifteh Farahani…


Dominick possède depuis l'enfance l'étrange pouvoir de se rendre invisible. Une faculté dont il fait un usage modéré — chaque “passage“ lui coûtant cher en énergie vitale — car elle suscite aussi, surtout, moult quiproquos gênants avec ses proches. Est-ce un don ou une malédiction ?

Les histoires de couples perturbés par des interférences créées par des mondes parallèles — ésotériques ou psychiques — forment “l'ordinaire fantasmatique“ du cinéma de Bernard & Trividic, collectionneurs de discordances en tous genres. Dancing (2003) et L'Autre (2009) traquaient déjà en effet des irruptions singulières dans ce que l'on nomme la normalité, en adoptant des constructions cinématographiques volontiers elliptiques, mentales ou peu linéaires. Est-ce ici l'influence d'Emmanuel Carrère, qui leur a soufflé l'argument de L'Angle Mort ? Sans déroger à leur propension au fantastique, ce film manifeste un changement de forme radical, adoptant une narration plus posée et une structure de conte contemporain à morale philosophique — comme si Rohmer s'était aventuré dans le registre du super-héros décalé, ou Alphonse Daudet au cinéma.

Drame à double niveau sur la question de la disparition du corps social — ce qu'il advient de l'individu lorsque sa présence physique s'évanouit au sens propre, mais aussi lorsque son existence est effacée par la foule — L'Angle mort abrite également une terriblement belle histoire d'amour, Dominick s'éprenant d'une aveugle (formidable Golshifteh Farahani) forcément insensible à son particularisme. Montrant à quel point la perception d'une différence s'avère chose très relative, ce film d'un foisonnement fou est une réussite de poésie réaliste et tragique. Sans nul doute le chef-d'œuvre du duo.


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