Le tatouage a la peau dure

Réel phénomène de société, le tatouage fait aujourd'hui indéniablement partie du quotidien. On pourrait presque croire qu'il est devenu en quelques décennies un produit de consommation comme les autres. L'univers du tattoo conserve pourtant toute sa symbolique introspective, s'appuyant sur une dimension intime qui dépasse encore (pour l'instant) l'effet de mode. Décryptage.


« Là sur sa peau gravé, à l'encre bleue dessiné / Là sur sa peau gravé, un tattoo bleuté » chantait Etienne Daho, au printemps 1986, sur son album Pop Satori. À cette époque, les gens tatoués étaient encore plutôt rares dans votre entourage. Peut-être aviez-vous un vague cousin biker dans la famille ? Un voisin qui parait-il avait séjourné quelques temps derrière les barreaux ? Les tatoués étaient alors des gens à la marge, des originaux. Depuis, loin de l'imagerie des gangs latinos que l'on nous sert dans les séries télé, les reportages sur les tribus du bout du monde ne vous ont pas laissé indifférent. Et voilà, l'idée a lentement germé dans votre petite tête : « et si je me faisais tatouer moi aussi ? » Il paraît en effet difficile aujourd'hui d'échapper à la démocratisation galopante du tatouage. La belle saison venue, dans les rues des grandes villes, sur les plages de Barcelone ou d'ailleurs, vous avez désormais l'impression d'être l'exception en observant votre épiderme nu de tout marquage. Car ils sont partout. Partout et nombreux. Des tatoués par wagons, de tous âges, de toutes conditions et bien sûr des deux sexes. Partout, ça saute aux yeux : les salons fleurissent de façon aussi exponentielle que les magasins dédiés au vapotage !

Initiatique

Si Berlin fait encore figure de capitale européenne du tatouage, nul besoin de prendre le train ou l'avion pour se faire tatouer par un praticien reconnu. Il y a forcément dans votre ville un tatoueur qu'un jour ou l'autre un ami vous recommandera... Pourtant, certains sont prêts à traverser la planète pour rencontrer les quelques rares légendes du tattoo, des artistes dont la réputation est devenue mondiale. Le chanteur et guitariste Ben Harper a ouvert la voie à beaucoup de ses fans qui sur ses traces se rendent en Nouvelle-Zélande auprès de Gordon Hatfield, artiste expert du Ta Moko, le tatouage traditionnel Maori. Venus du monde entier, des hordes de backpackers se rendent au fin fond d'une vallée paumée des Philippines, au cœur du territoire des coupeurs de têtes Kalinga, pour rencontrer dans le minuscule village de Buscalan la célébrissime Apo Whang Od. Approximativement centenaire, la mamie du tattoo pratique le tatouage traditionnel depuis ses quinze ans, point par point, par tapotage d'une épine fixée à l'extrémité d'un bâton de bambou, trempée dans une encre composée de suie. Philosophe, la vieille dame qui a entrepris de transmettre son savoir avant que sa vue ne s'affaiblisse trop sévèrement, n'en est pas moins lucide : « Avant, le tatouage permettait aux femmes d'embellir leur corps au moment du mariage. Les hommes se faisaient tatouer lors des cérémonies de la victoire, pour faire savoir qu'ils étaient des guerriers. Quand tu meurs ton tatouage reste pour toujours, il t'accompagne au paradis, alors que ton or et tes vêtements disparaissent. Mais maintenant tout le monde veut se faire tatouer. »

Un marché en plein essor

Aux USA, on estime à plus de 20% la proportion de la population ayant au moins un tatouage, un chiffre que les Français sont en passe de rattraper. Selon un sondage IFOP réalisé en 2018, 17% des Français auraient au moins un tatouage, ce qui représente plus de huit millions de personnes ! On retrouve majoritairement parmi les tatoués des travailleurs indépendants (30%), des ouvriers (25%), les cadres supérieurs ne représentant que 10%. Le tatouage séduit particulièrement les 25-34 ans qui considèrent le tatouage comme une œuvre d'art qui affirmera leur look et renforcera leur individualité. En revanche, le nombre de tatoueurs en France est difficile à évaluer : le Syndicat National des Artistes Tatoueurs estime qu'ils sont entre 4 000 et 5 000 dans l'hexagone, avec prix très fluctuants, suivant la taille du dessin et la renommée du tatoueur (de 80 à 300 euros par heure de travail). Il est clair qu'aujourd'hui, même si nombre d'artistes défendent mordicus le caractère purement artistique de leur pratique, pour les autres le tatouage est en passe de devenir un business comme un autre, avec ses promos, ses cartes-cadeaux, ses partenariats avec le monde du rock ou du skate, ses festivals... Les stars du show-biz entretiennent l'effet de mode et développent indirectement chez les jeunes ce sentiment d'appartenance à un style qui colle au tattoo, porté par la puissance des réseaux sociaux. Le tatouage assoit aussi sa démocratisation en faisant sa place à la télé : sur TFX, les Sauveurs de tatouages (vous avez bien lu) de l'émission Tattoo Cover vous expliquent quoi faire si vous regrettez de vous avoir fait tatouer sur la fesse gauche le prénom de votre ex !

Made in Sainté

À Saint-Étienne, en activité depuis plus de trente ans, Shark's Tattoo demeure la référence historique du tatouage ligérien. Dans son Tattoo Museum (rue de la Résistance), Phil étudie votre projet dans une ambiance à la cool mais assure un boulot des plus sérieux. Mais aujourd'hui, une bonne quinzaine d'autres salons vous proposent de vous redécorer l'épiderme, tirant plus ou moins leur épingle du jeu dans un marché devenu gentiment compétitif. On peut citer par exemple Génération Tattoo (rue Léon Nautin), Encre vous et moi (rue de la Richelandière) ou encore Vilastattoo (rue de l'Égalerie), recommandé notamment par les filles pour ses traits fins, où l'on peut aussi vous percer la langue sans rendez-vous ! Idéalement placé au premier étage d'un magnifique immeuble de l'hyper-centre stéphanois, Karavan Tattoo (rue des Martyrs de Vingré) est sans doute le salon qui monte à Sainté, rencontrant un vrai succès depuis son ouverture en 2016. Anthony Roux propose un style de tatouage détaillé et ornemental, dont il a appris les fondamentaux au fil de ses voyages en Amérique du Sud, en Inde ou en Afrique.

Monsieur et madame tout le monde

En échangeant avec quelques Stéphanois tatoués, des tendances semblent ressortir. Presque tous ont choisi leur tatoueur en faisant confiance au bouche-à-oreille, prêtant une attention particulière aux questions d'hygiène et affirmant que le feeling lors du premier contact reste capital. Tous ont mûrement réfléchi à la symbolique très personnelle du motif et beaucoup d'entre eux songent déjà au prochain tatouage ! Parmi eux, Corinne, infirmière hospitalière, s'est fait tatouer à plusieurs moments forts de sa vie de femme, au sortir de l'adolescence, puis après la naissance de ses deux filles, considérant ses tattoos comme des amulettes mystiques qu'on ne quitte plus, reflets de son âme. Jean-Baptiste, conseiller justice administration pénitentiaire pour Pôle Emploi,  s'est fait dessiner un phénix dans le dos après une période professionnelle douloureuse, comme pour se persuader de sa possibilité de rebondir, de renaître. Plus tard, c'est à l 'occasion d'un voyage en Asie du sud-est qu'il se fera tatouer une salamandre sur la cheville. Christine, professeure des écoles, fait quant à elle dans le pragmatisme affectif : elle s'est fait tatouer sur l'omoplate un livre ouvert (en référence à son métier) orné des initiales de ses deux enfants. Il y a aussi les fans absolus comme Sam, luthier, qui porte fièrement le visage de sa contrebassiste préférée (belle Esperanza Spalding) sur le torse !  


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