"Histoire d'un regard" : Œil pour œil

De Mariana Otero (Fr., 1h33), documentaire…


Disparu en reportage au Cambodge, Gilles Caron (1940-1970) fut un grand œil photographique du XXe siècle ; et ce bien que sa carrière couvrît à peine une décennie. Troublée par les échos à sa propre histoire familiale, la documentariste Mariana Otera retrace son parcours artistique…

À l'opacité régnant sur “l'évaporation“ de Gilles Caron, Mariana Otero oppose ici une transparence totale — mais cette démarche d'élucidation est une habitude chez la documentariste. Ainsi ouvre-t-elle son film par ce hasard orienté (du nom de Jérôme Tonnerre) ayant placé entre ses mains un recueil d'images de Caron, et ce double trouble qui l'a alors saisie. Celui de se retrouver en présence de vues familières — ses clichés de guerre, de mai-68, de plateaux de cinéma ont tapissé son enfance — auquel s'est ajoutée la découverte d'une étrange similitude entre les portraits des filles du photographe et ceux peints par la mère de Mariana Otera, morte en 1968 (voir son film Histoire d'un secret).

Cet ancrage personnel semble “autoriser“ moralement Mariana Otera a évoluer dans le corpus caronnien (100 000 vues !) que son propre regard va interroger. Ses examens attentifs, ainsi que la  confrontation des images à des historiens ou des témoins directs, vont faire revivre des séquences littéralement historiques (Guerre des 6 jours, Irlande du Nord…) et montrer à quel point Caron possédait, en plus de celui du cadre, le sens de l'anticipation. Un instinct tout droit hérité de son passage — traumatisant — sous les drapeaux pendant la guerre d'Algérie. Tombé dans un purgatoire pendant des décennies, le photo-reporter et artiste en est sorti grâce à l'entêtement de son épouse et ses filles ; ce cénotaphe cinématographique exemplaire contribue pleinement à sa remise en lumière… in absentia.


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