Défions-nous des apparences…

Mois de la bascule entre les saisons, du changement d'heure — bref, de toutes les métamorphoses — mars incite à aller au-delà de la surface des choses. Et donc de l'écran…


Puisque l'on célèbre en mars la Journée internationale des droits des femmes (le 8) et que 2020 doit censément voir aboutir dans l'industrie l'objectif paritaire 50/50, posons crânement la question : où sont les femmes ce mois-ci au cinéma ? Derrière les fourneaux, en train de faire le repassage ou de se pomponner pour leur mari dans La Bonne Épouse (11 mars). Situé dans une école ménagère en déclin à la veille de mai-68, cette comédie de Martin Provost joue sur un second degré évident entre la fin de l'époque patriarcale et l'espoir de l'avénement d'une autre, en bénéficiant d'un trio féminin de choc : Juliette Binoche en directrice d'école prenant la vague, Yolande Moreau en vieille fille éberluée par les changements et surtout Noémie Lvosky en bonne sœur façon Don Camillo en cornette — une distribution compensant des inégalités de forme et de rythme. Pour Mathias Malzieu, la femme est coupée en deux et dans la baignoire — mais c'est pour son bien puisqu'il s'agit d'Une Sirène à Paris (même date). Dans ce nouveau conte burtonien, le meneur de Dyonisos ose à nouveau cette alchimie entre merveilleux et mélancolie avec des héros cabossés depuis l'enfance. Ambitieux avec ses décors baroques et sa musique faite maison, attachant grâce à ses interprètes bien trouvés, le film manque toutefois d'une infinitésimale touche de magie pour emballer tout à fait.

Chez Frédéric Fonteyne & Anne Paulicevich, les femmes se prostituent. Filles de joie (18 mars) suit trois voisines du Nord de la France qui, quotidiennement, franchissent la frontière belge pour proposer leurs faveurs dans une maison close afin d'améliorer un ordinaire misérable. Les rêves en berne, l'usure morale le disputant à la déchéance physique, le mépris des proches… Comme chez Brassens, la joie reste sous cloche dans ce film à la construction subtile et décalée, qui rend si bien compte de la situation bancale de chacune et de leur individualité malgré leur solidarité. Là encore Noémie Lvovsky s'y impose, au côté de la toujours juste et passionnée Sara Forestier.

Et pourquoi pas ?

Il n'y a pas que chez les hackers que les codes sont faits pour être cassés : la société ne progresse que grâce à d'infimes transgressions reversant peu à peu les tours d'habitudes et les murs d'idées reçues. Et surtout, à celles et ceux qui, se cognant à ces obstacles, les fissurent. Voyez l'héroïne de Jumbo (18 mars). Campée par la toujours aventureuse Noémie Merlant, ce personnage solitaire embarrassé d'une mère exubérante va tomber amoureuse… d'une machine dans un parc d'attractions ; une passion singulière que la réalisatrice Zoé Wittock va montrer payée de retour avec moult orgasmes cyber-organiques et feux d'artifices forains. Une histoire volontiers onirique entre King, Lynch et Glazer, où le bizarre initial finit par devenir une composante ordinaire de la normalité.

Passer de l'exception à l'acceptation : telle est également la situation d'Alex dans Miss (date de sortie reportée au 23 septembre), où un jeune homme à demi-marginalisé trouve un épanouissement libérateur en participant au concours Miss France. Signée Ruben Alves, cette comédie grand public aux accents de feel good movie devrait contribuer à dégetthoïser la situation des personnes transgenres. D'autant qu'elle est tournée avec la transparente complicité du Comité Miss France et de comédiens hyper-populaires, comme Isabelle Nanty ou Thibaut de Montalembert en trav'…ailleuse du sexe au Bois. Sans oublier Alexandre Wetter, sans qui Miss n'existerait pas. Le parcours initiatique de son personnage — devenir une “image” de femme pour être enfin qui il/elle est réellement en lui — n'est pas si éloigné de celui de Pinocchio. Dans l'adaptation que Matteo Garrone livre du grand roman italien de Collodi (auquel il se montre d'une fidélité viscérale), le pantin a déjà presque tout du vrai petit enfant qu'il aspire à devenir, y compris l'œil candide et le zézaiement. Mais il lui manque réellement la conscience de ses actes. Apprentissage de la culpabilité, de la présence des autres et de l'amour, son chemin semé de bêtises et d'animaux anthropomorphes oscille entre rêve merveilleux et cauchemar enfiévré. On a rarement vu conte philosophique aussi joliment illustré — et pourtant, la concurrence était rude avec les versions précédentes.

Un mot pour finir sur deux films cachant leur jeu : Les Parfums de Grégory Magne (25 mars) où Emmanuelle Devos devient “nez“ de parfumerie et La Daronne de Jean-Paul Salomé (même date) où Isabelle Huppert se mue en trafiquante de drogue. Le premier n'est pas une bluette toute lisse, le second tient davantage du polar que de la comédie. Ce sont toujours les zones grises qui donnent du relief aux histoires ; voilà pourquoi il en faut plus.


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