Arnaud Meunier : "Ne mettre personne sur la paille"

Le confinement touche l'activité du spectacle vivant de plein fouet. Notamment l'activité théâtrale et les créations. Arnaud Meunier, directeur de La Comédie, nous explique comment il tente de gérer la situation.


Y-a-t-il encore un peu d'activité à La Comédie, malgré le confinement ?

Les activités administrative et comptable se poursuivent de manière numérique et digitale. Concernant l'École, nous avons trouvé un programme pédagogique qui fonctionne par Skype et Internet, donc les élèves sont maintenus au travail. En revanche, le reste de l'activité du Centre dramatique national est à l'arrêt, tout ce qui était répétitions, spectacles…

Pour une institution telle que La Comédie de Saint-Étienne, qu'est-ce que cette crise va changer ?

Ce que j'espère, c'est qu'il y aura un avant et un après. Cette épreuve mondiale est inédite et elle nous amène à nous poser des questions sur ce qu'est une société et sur ce qui nous paraît essentiel et important. Par rapport à La Comédie, nous avons écrit une lettre aux spectateurs pour les tenir informés de ce qu'il se passait et nous avons eu de nombreux retours et c'est très émouvant. Il est beau de se rendre compte qu'un théâtre est un endroit où l'on se regroupe avant tout. Dans une période de mise à distance sociale, c'est vraiment ce qu'il nous manque finalement. Le théâtre apporte également le côté éphémère d'une émotion partagée avec toute une salle. Nous réfléchissons à une lettre numérique hebdomadaire destinée au public, dans laquelle se trouveraient quelques surprises, pour maintenir un lien. Mais on sait que la force du spectacle vivant n'est pas remplaçable par la voie numérique. Parallèlement, nous essayons de réfléchir au coup d'après, à quand on pourra réouvrir, se retrouver et s'étreindre, ce qui est également très important.

On reste chez nous, certes, mais l'argent doit continuer de circuler de manière à ne pas rajouter une crise sociale et économique à une crise sanitaire.

Vous vous êtes engagés très tôt à soutenir les artistes et techniciens…

Nous avons pris la décision très rapidement, en essayant d'entraîner dans notre sillage d'autres structures tels que les autres Centres dramatiques, de ne surtout pas s'abriter derrière la force majeure. Cette dernière peut s'appliquer et nous pourrions donc ne plus rien payer… Mais si jamais nous faisions cela, ce serait la catastrophe pour les plus fragiles et précaires. Au contraire, nous devions servir de « courroie de transmission » de toutes les mesures d'urgence exceptionnelles qui sont en train de se mettre en place. Nous restons avant tout un employeur qui doit faire en sorte d'assurer des rémunérations même si les représentations n'ont pas lieu. Autant pour les salariés permanents que pour les salariés intermittents. Par rapport aux compagnies qui devaient jouer chez nous et qui avaient engagé des frais, il est important d'assurer un paiement afin de ne pas les mettre en faillite. Nous avons œuvré dans ce sens au sein de l'association des Centres dramatiques nationaux pour que, globalement, nous fassions tous la même chose et que cela permette également de peser dans la décision pour les théâtres de ville, reliés à des municipalités qui pourraient être tentées de s'abriter derrière le « service non effectué ». De nombreuses villes ont montré l'exemple. Ce sont de saines décisions selon moi. On reste chez nous, certes, mais l'argent doit continuer à circuler de manière à ne pas rajouter une crise sociale et économique à une crise sanitaire.

Pensez-vous qu'il y aura un impact sur les créations ?

C'est un peu tôt pour le dire mais il est sûr qu'il y a de nombreux spectacles qui devaient voir le jour actuellement et qui n'y arrivent pas. Donc la problématique est de ne pas avoir de spectacles “mort-nés”. Il faut qu'ils puissent se reporter. C'est d'autant plus compliqué que, par exemple, nous avons bouclé notre saison prochaine… Nous sommes en train de finir la rédaction de la brochure de saison. On sait qu'on ne trouvera pas de solutions sur la saison prochaine a priori. En fonction de la date à laquelle nous pourrions ouvrir à nouveau, nous pourrions essayer de déplacer des spectacles prévus en ce moment avant la coupure estivale, c'est-à-dire dans deux mois, ou bien proposer un report sur la saison 2021/2022. D'où l'importance de bien anticiper les incidences pour les compagnies et les artistes…

Tout le monde semble avoir saisi qu'il n'est pas du tout le moment de commencer à être mesquin.

En prenant un peu de recul, pourrait-il y avoir des fermetures de « petits » théâtres selon vous ?

J'ai l'impression que non. Ce que j'entends globalement de la part de l'État et des collectivités, c'est que tout le monde est sur le pont de guerre et semble avoir saisi qu'il n'est pas du tout le moment de commencer à être mesquin. L'idée est de ne mettre personne sur la paille. Cela étant dit, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Dans la profession, tout le monde a les yeux rivés sur le festival d'Avignon qui, pour le moment, n'est pas reporté. Mais jusqu'à quand peuvent-ils tenir cette ligne ? S'il y a annulation de cet événement, ce sera très conséquent en termes économiques pour l'ensemble de la profession. C'est un jeu de dominos… Comme tout le monde, nous suivons la situation au jour le jour. Ma ligne de conduite, pour l'instant, consiste à être très responsable en tant qu'employeur, de manière à rassurer et contribuer à créer de la cohésion et de la solidarité. Certes, nous sommes éloignés les uns des autres, mais rien ne nous empêche de réfléchir collectivement et penser solidairement.


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