"Jeunesse sauvage" : Les Sète cents coups

Portrait d'une jeunesse à la marge, entre la cour de récréation et la cour des grands, à la lisière de la délinquance et du crime ; portrait d'une jeunesse à la rue et sans amour, à l'heure des choix ou de la mort. Un premier long métrage réussi de Frédéric Carpentier.


Les rues de Sète. Quand il ne veille pas sur son père malade psychique SDF, Raphaël règne sur son gang avec sa gueule d'ange. Détroussant les passants, piquant des caisses, il joue volontiers du poing sans jamais aller trop loin. Pas assez pour son bras droit Kevin qui, lui, en veut plus…

Quelque part entre L'Enfant sauvage vieilli et un Pickpocket contemporain, Raphaël est le héraut de cette jeunesse farouche et féroce si bien dépeinte par le titre, autant que le héros d'une épopée dont on devine dès les premières images sa trajectoire de longue fuite tragique. Redoutable de beauté solaire, inquiétant comme ces démons androgynes nés de la plume de Manara ; prénommé comme l'archange annonciateur du Jugement dernier et le peintre de la délicatesse, Raphaël est aussi un concentré de paradoxes, écartelé entre ses pulsions de conquête violente et la prescience d'une fatalité immanente. S'il donne l'impression de reprendre à son compte la phrase de Chirac « un chef doit cheffer », ce décalque mesuré du Nicola napolitain des Piranhas sait également où s'arrêter pour ne pas tomber. Pablo Cobo, qui l'interprète, porte ce film noir en donnant à ce personnage charismatique toute l'ambiguïté et l'imprévisibilité requises.

Sète ici que ça se passe

Autre protagoniste, moins bavard mais tout aussi capital : la ville (et les rues) de Sète. Un décor méditerranéen très éloigné des images de cités véhiculées par nombre de films se déroulant dans les Bouches-du-Rhône : quand Marseille semble emmurée sous un soleil de plomb face au cul-de-sac de la mer, la cité héraultaise offre un arrière-pays et une porte sur un possible horizon d'évasion. Frédéric Carpentier n'est pas le seul à capter cette singularité ; et l'on se demande,   après Romain Laguna (Les Métérorites) et Elsa Diringer (Luna) si l'Héraut ne favoriserait pas l'émergence d'une génération de cinéastes s'appliquant à documenter les errements de sa jeunesse locale.

Il y a de quoi se demander pourquoi ce film sans gras, bref et nerveux, tourné en 2017 n'a pas trouvé plus tôt le chemin des salles. Bien qu'elle ait de fort larges épaules et bien peu de scrupules, on ne peut pas tout mettre sur le dos de la Covid-19.

De Frédéric Carpentier (Fr.-Bel., 1h20) avec Pablo Cobo, Darren Muselet, Léone François…


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