Licorice Pizza : Sweet seventies

Deux jeunes gens que près de dix ans séparent apprennent à s'aimer, non sans peine. À la fois roman picaresque et d'apprentissage,  Licorice Pizza retrace leur balade sur la carte américaine du tendre à l'aube des 70's. Une carte postale datant de l'époque du pétrole illimité, des waterbeds et des cols pelle à tarte confiée à d'inattendues têtes d'affiche.


San Fernando, L.A., 1973. À la fois lycéen, comédien et à l’affût de la moindre opportunité entrepreneuriale, le jeune Gary Valentine tombe sous le charme d’Alana, l’assistante du photographe de l’école. Le fait qu’elle ait la vingtaine ne l’arrêtant pas, l’ado culotté engage une opération de séduction qui ne laisse pas  totalement insensible sa putative dulcinée. Chronique de leur histoire, entre hauts et bas…

Ne vous attendez pas à découvrir dans ce film la recette (ni la moindre apparition) de la pizza à la réglisse promise par le titre ! Cette espèce de chimère culinaire, que les papilles peinent  d’ailleurs à conceptualiser — quand bien même elles auraient tâté de l’improbable Hawaïenne — doit se comprendre comme l’équivalent alimentaire doux-amer de notre mariage entre la carpe et le lapin. Une sorte d’attelage improbable entre deux caractères davantage susceptibles de créer une discordance qu’une harmonie, mais que la force de l’imagination (ou de la conviction !) permet d’apparier. Rien de bien neuf devant la caméra de Paul Thomas Anderson, qui filme volontiers les romances comme des parcours semés d’obstacles pour marathoniens sado-masochistes. Si l’entreprise de séduction de Gary constitue l’amorce de l’histoire, l’asynchrone réciprocité des sentiments mutuels en est le carburant ; en résulte fatalement un voyage cahoteux permettant d’admirer le paysage — une toile de fond historico-sociologique dont on est persuadé qu’elle forme le réel centre de gravité du projet andersonien, tant minutieuse s’avère sa peinture.

Nostalgie de la lumière

Paul Thomas Anderson porte un regard empreint d’une bienveillance nostalgique sur cette époque où, traumatisme du Vietnam savamment occulté, la jeunesse pouvait encore rêver à un avenir d'épanouissement sans entrave — avant de se fracasser sur les murs de la récession économique, du sida et du terrorisme, pour n’évoquer que la fin du XXe siècle. À l’instar de Boogie Nights (1997) ou de Inherent Vice (2014), il nimbe ses images d’une lumière diaprée, suridéalisant même l’esthétique des séquences qui ont pour protagonistes des personnages en représentation croisant la route d’Alana et Gary — et il y en a beaucoup à Los Angeles : acteurs émergents ou se ringardisant (Sean Penn, en mixte de William Holden et Steve McQueen recuit dans l’alcool de ses souvenirs), agent d’artistes, producteur psychopathe (Bradley Cooper, en décalque de Jon Peters), candidat à la mairie (Ben Safdie, potentiel clone de Harvey Milk), patron de restaurant japonais singeant l’accent nippon… Cette galerie de référents grotesques ou pathétiques (auxquels la jeunesse d’alors était censée se soumettre et/ou s’identifier), justifie pleinement la rébellion des baby-boomers.

Amateur des personnages en demi-teinte ou affligés d’une part d’ombre plus ou moins dévorante,   PTA privilégie la plausibilité plutôt que la façade lorsqu’il compose sa distribution. En clair, elle vise davantage un réalisme conforme à la vibration de l’époque qu’un glamour factice. À raison : les débutants Cooper Hoffman (fils de son défunt comédien fétiche) et Alana Haim (chanteuse du trio homonyme dont il a signé de nombreux clips) n’auraient pas pu jouer dans Le Lagon bleu selon les canons des studios ; ils forment en revanche le duo adéquat pour ces deux heures et quelques minutes de flirt sur la B.O. de jadis. Le plus long slow du monde…

★★★★☆ Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson (É.-U, 2h13) avec Alana Haim, Cooper Hoffman, Sean Penn…


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