Une exposition sur les vanités d'hier et d'aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts

Rapprochant art ancien, art moderne et art contemporain, l'exposition À la mort, à la vie ! s'empare du thème de la vanité dans toutes ses dimensions. Et s'avère bien davantage une ode au vivant qu'un constat morose ou morbide sur la vanité de nos existences.


L'ouverture de l'exposition À la mort, à la vie claque ! On y est accueilli par une famille sculptée du Nigéria, toute d'os de bois composée. Une famille mi-rigolarde mi-inquiétante, où les parents squelettes portent leurs petits squelettes sur les épaules, où l'on danse et grimace, où l'on se fige et regarde vers le néant… Autour de ces sculptures, le peintre Erro compose ses farandoles de squelettes goguenards (années 1950), et des gravures du XVIe au XVIIe siècle représentent le Triomphe de la Mort, l'Allégorie de la Mort, la Mort victorieuse, les danses macabres ! Vertiges de la mort donc, où ça danse parmi les époques, du XVIe siècle à nos jours, des débuts des vanités au Moyen Âge à leurs relectures et à leurs réappropriations tout au long de l'histoire de l'art.

De la peste au Covid-19, les savoirs et les regards évoluent, mais pas la finitude humaine ni les questions existentielles. Et c'est dans notre contexte de pandémie qu'a été conçue cette exposition thématique, entremêlant "crânement" les collections classiques et modernes du Musée des Beaux-Arts à celles contemporaines du Musée d'Art Contemporain (plus une collection particulière privée) à travers un parcours thématique : "Les âges de la vie", "Vanités des vanités", "Vanités des arts et des savoirs", "Le miroir animal"…

Atemporelles vanités !

La commissaire de l'exposition, Ludmila Virassamynaïken, tient à rappeler que cette exposition n'est pas une exposition sur la mort. Le prisme différent de la vanité au sens large, c'est-à-dire au sens de la brièveté de l'existence et de la finitude humaines, permet quant à lui d'oser des rapprochements anachroniques. Ce prisme ici dépasse largement l'aspect moral et religieux de la grande période des vanités du XVIe et XVIIe siècles. Il permet de faire se croiser un Picasso avec des natures mortes des XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles, ou de rapprocher une gravure de Rembrandt d'un montage photographique des années 1940 des artistes britanniques Gilbert & George. Il y a là un double pari : que les interrogations existentielles sur la finitude humaine demeurent, de siècle en siècle, relativement similaires ; que certains motifs et certaines représentations restent suffisamment fortes pour que des générations successives d'artistes se les réapproprient, en donnent de nouvelles lectures et compositions. Bref qu'un minimum de choses (soit philosophiques soit proprement artistiques, voire les deux) résonnent à travers le temps et ses déboires. Le pari paradoxal de l'exposition, c'est que la vanité demeure bien vivante, toujours bien en forme(s), d'hier à aujourd'hui !

Ambivalences

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette exposition osée dans ses rapprochements, c'est que les œuvres contemporaines (d'Erik Dietman, d'Erro...), fortes parfois de leur humour et de leur esprit de dérision provocatrice, permettent de retrouver ce qu'il y avait de vivant, de drôle, de grotesque parmi les danses macabres et les triomphes de la faucheuse des temps anciens. La représentation de la finitude humaine n'est pas toujours aussi sérieuse et sombre qu'on pourrait le croire ! Et même lorsqu'elle est a priori plombée d'une morale religieuse condamnant les prétentions humaines à concurrencer dieu ou à s'égarer dans les plaisirs, on s'interroge sur l'interprétation des peintres : condamnent-ils vraiment les plaisirs terrestres, ou au contraire les chantent-ils par la délicatesse somptueuse des argenteries représentées, des aliments, des plis de nappes, ou encore le flamboiement de bouquets de fleurs qui fourmillent littéralement de vies (insectes, particules d'eau, couleurs éclatantes…) ?

À l'inverse, l'époque contemporaine peut s'avérer beaucoup plus tragique et crue dans sa représentation de la fragilité de la vie. On pense ici notamment à la troublante série de photographies de Philippe Bazin (voir notre encadré) et ses portraits serrés de vieillards ou de nouveaux nés, qui arrachent in extremis des traits de vie singuliers au sein d'institutions qui écrasent les existences. Ou, dans un tout autre domaine, à cette image d'Éric Poitevin montrant un daim ensanglanté suspendu par ses bois, entre la vie et la mort, et nous jetant comme un regard christique criant : humains prédateurs pourquoi m'avez-vous abandonné à ma douleur ?

Art vivant

Surprenante, instructive, émouvante ou drôle, tout au long de son parcours varié, cette exposition est aussi l'occasion de (re)voir certaines œuvres d'une grande force. Citons encore : l'installation vidéo de Bill Viola, Tiny Deaths (1993) où l'on plonge dans un univers de brouillard et de présences humaines fantomatiques incandescentes ; les crânes de Jim Dine, de Philippe Favier, de Jean-Marc Cerino et de Philippe Cognée ; la très belle photographie d'enfant de Delphine Balley ; les polyptiques montrant des oiseaux du photographe Jean-Luc Mylayne ; l'étonnante rencontre entre la sculpture Ecce Homo (1993) de Étienne-Martin et de la Carcasse de viande et oiseau de proie (1980) peint par Francis Bacon… L'exposition se termine par une section consacrée au "miroir animal", marquant sans doute qu'au-delà des existences humaines, c'est bien cette chose difficile à définir et qui se nomme "la vie" qui nous traverse tous.

À la mort, à la vie ! Vanités d'hier et d'aujourd'hui, Au Musée des Beaux-Arts jusqu'au 7 mai 2022


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