Un amour de « Swan »

Magicien du mouvement, Angelin Preljocaj incarne le nouvel « Art Total » du 21e siècle. Dans « Le Lac des Cygnes », l'immense chorégraphe fait décoller des corps-instruments, dégagés de la « gravité » terrestre.


Pacifiant les écoles, décapant l'histoire de la chorégraphie, érudit mais discret, l'art d'Angelin Preljocaj est une révolution non-violente dans la naphtaline du ballet classique. Défragmenté, comme par une lentille optique, le mouvement donne le tempo et le sens. Par un jeu de miroir grossissant, le regard du spectateur est suspendu dans le temps, tel un film au ralenti. Restent la musique, les corps, les liens qui les lient, les délient, les rapprochent, les éloignent. Cette syntaxe nouvelle est en fait éternelle. Elle soutient l'édifice, sans le détruire. Aucun de ses prédécesseurs n'avait pourtant osé cet idiome évident. Le chorégraphe est un amoureux : de Tchaikovski tout d'abord. Chaque pas dansé est un instrument, vecteur de la grandiose partition. Les corps ne « dansent pas dessus », ils s'en jouent et la jouent, en sont l'incarnation gestuelle. Fusion unique dans le ballet classique, Preljocaj rassemble ce qui était épars avant lui : l'opéra, la danse, l'orchestre, le mystère du corps humain, cette infime part divine du cosmos. Bouleversant avec assurance et sérénité, les codes d'un art qu'on disait suranné, il assure sa pérennité pour le siècle qui s'ouvre : hommes et femmes complémentaires – sans pointes qui blessent –, sans clivages ni polémiques, simplement humains, permutent parfois les rôles conventionnels, dans un grand geste artistique fusionnel. Un chorégraphe de génie !

- Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski, chorégraphie d'Angelin Preljocaj, le 5 février 2022 à 20h à l'Opéra de Saint-Etienne,


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