Design dans la ville : à quoi sert-il ?

Désormais habillée de couleurs acidulées, Saint-Etienne joue à fond la carte « design » qu'elle revendique par-delà ses frontières. Dans l'espace public pourtant, le design permet surtout des transformations moins perceptibles mais dont le dessein premier est d'améliorer les usages. Pour nous permettre de mieux comprendre, le designer stéphanois Julien de Sousa nous a emmenés en balade au cœur de la ville, en nous demandant de bien ouvrir nos yeux… En route !


Mobilier urbain : ça bouge !

Ancienne place où l'on préférait ne pas trop s'attarder, grise et sombre voire glauque, le parvis de la gare de Châteaucreux s'est métamorphosé ces dernières années. Bâtiments tout rouges et sculptures flamboyantes, abribus dernière génération aux formes futuristes, bancs en métal colorés nés de l'opération Banc d'Essai… Et puis aussi, moins clinquant ou coloré, imperceptible et pourtant ingénieux et utile, le Plug Metalink Urban, désigné par la société stéphanoise Ledin Sarl. « On installe ce plug dans le sol, et ensuite, on peut venir fixer du mobilier dessus, détaille Julien de Sousa. Cela permet de moduler l'espace public plus facilement. Ici, il y a un ensemble table/tabouret, mais on peut venir y greffer autre chose à la place. C'est tellement ingénieux que la SNCF l'a adopté pour son propre mobilier ». En outre, Métalink recommande aux municipalités de disposer ses plugs dans l'espace public, et d'y greffer par exemple, des tables et des bancs en été, des affichages ou voiles d'ombrages lors d'un événement, ou encore, des sapins de Noël en fin d'année.

Assis, les poireaux !

Devant la gare toujours, on croise des gens qui courent après leur train, et puis d'autres, qui attendent que le leur arrive enfin… Assis sur des clous ! L'installation Tempo, désignée par François Bauchet (et qui ressemble à une ronde de gros clous plantés dans le bitume) permet de se poser un moment, quelle que soit la situation : « Ici, toute la conception est partie de l'étude et du questionnement sur l'usage, poursuit Julien de Sousa. Un morceau de l'installation se trouve vraiment devant la gare, et permet de s'installer à plusieurs, chacun sur un clou. On retrouve des sièges uniques en bord de route, pour les gens qui sortent de la gare, et qui attendent soit un bus, soit que quelqu'un vienne les récupérer en voiture… C'est malin, et en plus, esthétiquement, c'est assez intéressant. »

Beau et astucieux

Chavanelle. Les vieilles pierres des immeubles, le clocher de l'église qui sonne, les pigeons en fonte qui ne s'envolent jamais, les terrasses de café… Et puis, ce qui de loin ressemble à une cabane écarlate. « Le Cube-Gigogne, conçu par Dorothée Noirbent. C'est très intéressant, parce qu'elle a posé ici un vrai regard de designer, en imaginant tout un usage pour cette installation », s'enthousiasme le designer stéphanois. Car le cube, sculpture rouge et métallique, se déplie au gré des besoins : ci, par les brocanteurs qui peuvent s'en approprier un morceau et le disposer sur la place pour y aménager leur étal ; là, par les agents municipaux qui peuvent disperser les modules le long des terrasses lorsqu'il fait chaud pour rafraichir les passants : ils se transforment alors en brumisateurs.

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Pas de clinquant

Un peu plus loin, on se remémore ce qu'était la place Saint-Roch il y a encore quelques années de cela : un espace dédié au stationnement, au beau milieu d'une rue jalonnée de pas-de-porte désaffectés. « Ici, la place a en effet été réhabilitée, mais ce qu'il faut souligner, c'est la démarche par laquelle la réhabilitation s'est faîte. A l'époque, l'EPASE* a missionné un collectif regroupant des architectes, des urbanistes et sociologues, ainsi que le collectif de designers Captain Ludd pour y mener une étude, en concertation avec les habitants. Des ateliers participatifs ont été organisés et il en est ressorti, par exemple, que le stationnement auquel tenait tellement les usagers au départ, était finalement moins important que la qualité de vie qu'ils pouvaient gagner en donnant d'autres fonctions à la place ». Ici aujourd'hui, pas de couleurs pop, mais une fontaine, des arbres, des bancs, et même quelques « Clous » de François Bauchet, ce qui permet notamment aux passants de s'y installer un moment, au calme. « Le design, c'est avant tout l'étude de l'usage. La conception doit se faire en réponse à ce dont l'usager a besoin ».


Suivre la ligne jaune

Ce vendredi du mois de mars, la balade avec Julien de Sousa s'achève entre les murs de la cité du Design, par une discussion avec Eric Jourdan, le directeur de l'école supérieure d'Art et de Design de Saint-Etienne, et Nathalie Arnould, design manager pour la Ville de Saint-Etienne… Dans la conversation, une question, qui nous taraude depuis longtemps : quid du mobilier urbain bien jaune qui ponctue le trottoir de la rue Denfert Rochereau, de Châteaucreux à la cité Grüner ? Des tabourets et tables en acier, sur lesquels, on doit bien le dire, on voit rarement des gens installés.   « Cet axe de la rue Denfert-Rochereau était assez peu engageant, souligne Nathalie Arnould. Notre volonté était de l'identifier davantage, et aussi, de faciliter la vie de ceux qui le remontent à pied, puisqu'il est très en pente. Les petites tables et tabourets sont moins faits pour s'installer que pour faire une petite pause, poser ses sacs, ou consulter son téléphone. » Une réponse quelque peu éclairante… Mais aussi quelque peu nuancée un instant plus tard par Eric Jourdan : « Le mieux, c'est tout de même de ne pas avoir à apporter d'explication. Un design réussi, c'est un design évident ! » A condition que l'évidence soit la même pour tous, du coup…

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*Établissement Public d'Aménagement de Saint-Étienne


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