Gran Lux : Électron libre du cinéma stéphanois

Occupée par la brasserie Mosser et Fils dès la fin du XIXème siècle, la friche du quartier Bellevue a vu s'installer en 2004 l'association Coxa Plana, laquelle y fait vivre, depuis lors, un étonnant lieu alternatif de cinéma : Gran Lux. Portrait d'une structure atypique qui ne manque ni d'idées, ni de ressources.


Comme c'est le cas pour la plupart des friches post-industrielles, il plane sur le site Mosser un doux parfum de ici-tout-est-possible. Niché entre l'espace d'exposition Greenhouse et la florissante Brasserie Stéphanoise, Gran Lux maintient son cap depuis plus de 18 ans dans ses locaux à géométrie variable. A première vue, le bâtiment parait assez quelconque. Au 11 bis rue de l'Égalerie, seule une enseigne en hauteur vous signifie que vous êtes au bon endroit : on y lit simplement « electric cinéma - GRAN LUX ».

Nous avons rendez-vous avec Olivier Dutel, l'un des piliers et co-fondateurs de l'association qui porte le lieu. Avec lui, Gaëlle, Laurent, Fanny, Karine, Firdaouss, Camille, Mo et Juliette forment ensemble une équipe d'irréductibles cinéphiles, artisans touche-à-tout accros à la pelloche. Une fois la porte franchie, on croirait pénétrer dans un bunker aménagé façon club berlinois. Il règne ici une ambiance intimiste et mystérieuse à la fois. On entre par le petit bar où des boîtes de pellicules somnolent derrière la vitre d'un frigidaire, puis on déambule de pièce en pièce au fil d'un dédale d'espaces plus ou moins éclairés. Aux murs, des néons d'une autre époque, ci, des ampoules multicolores disposées en forme de palmier hallucinatoire, là, une enseigne Kodak et bien sûr, en plusieurs endroits, des rangées de fauteuils rouges.

Olivier débute la visite : « Nous avons deux salles de projection. La plus grande compte 90 places. C'est une jauge facile à remplir, mais pour la convivialité c'est très bien comme ça. » Le local technique enferme une véritable caverne d'Ali Baba où d'imposants projecteurs dressent leur sombre silhouette, laissant apercevoir tout près une table de montage. Le laboratoire regorge de pellicules en tous genres, de boîtes métalliques, de valises étiquetées et de cartons savamment empilés. « Nous conservons aussi une collection de 7000 cassettes VHS que nous envisageons de numériser puis de partager un jour en mode vidéoclub. » Dans l'espace imprimerie, l'équipe recourt à la risographie, un procédé écologique proche d'une sérigraphie mécanisée, pour confectionner ses propres programmes ainsi que des travaux d'impression pour d'autres structures.

 Alternatif

La mission première de Gran Lux est la diffusion d'œuvres cinématographiques rares, en respectant leur support analogique originel et le mode de projection adéquat. « Au-delà de cette proximité retrouvée avec les œuvres présentées, nous souhaitons surtout favoriser les échanges entre les artistes et les spectateurs, explique Olivier. Gran Lux est un espace modulable qui peut accueillir toutes les formes artistiques en lien avec le cinématographe : cinéma classique ou expérimental, mais aussi spectacle, expression sonore, performance, arts plastiques... Nous recevons également des artistes en résidence, des tournages ou des shootings. »

Le jour de notre visite, une salle entière abritait un décor reconstituant de façon très réaliste une gargote taïwanaise, abritée sous un toit de plaques ondulées translucides… Olivier prend un air pensif. Avec son allure d'éternel étudiant, le quinqua ferait facilement quinze ans de moins. « Pour moi le mot alternatif signifie qu'une autre expérience cinématographique est possible, forcément très différente de ce que l'on peut vivre dans un multiplexe moderne. » Évidemment, la physionomie du lieu compte pour beaucoup, venir sur le site constitue une démarche forcément volontaire, presque militante, ou liée à la curiosité intellectuelle. Dans le paysage des cinémas stéphanois, Gran Lux fait assurément figure d'électron libre, sans doute plus en phase avec l'esprit de la Cinémathèque ou du Méliès, qu'avec celui des grands montreurs de blockbusters revendeurs de pop-corn. Pour autant, nous ne sommes pas dans un ciné-club façon La dernière séance où les habitués arriveraient gominés en scooter des années 50 : cliché ! Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, le public semble même difficile à définir : en bonne partie stéphanois, il s'avère plutôt varié d'un point de vue socio-professionnel et étonnement multigénérationnel. « Nos spectateurs sont un peu à l'image des membres de l'équipe, je ne sais pas pourquoi les gens viennent la première fois mais je crois qu'ils reviennent par cinéphilie. Consciemment ou pas, ils se sont piqués au jeu. »

Pluridisciplinaire

Active depuis 1996, l'association Coxa Plana a posé ses valises dans le quartier Bellevue en 2004. Depuis vingt-cinq ans, deux fois dans l'année, une nouvelle session de visionnage donne à voir des films venus du monde entier, que les spectateurs ont l'occasion rare d'apprécier en pellicule 35 mm, 16 mm ou super 8. Chaque printemps et chaque automne, la programmation est le prétexte à revoir de grands classiques, mais aussi à découvrir quelques raretés, perles esthético-conceptuelles et autres OVNI du 7ème art. Olivier précise : « Selon les années, les sessions s'accompagnent de concerts, de performances et d'expositions. Pour la session 49, nous exposerons des photographies de Youssef Ishaghpour, en hommage à ce théoricien des arts et du cinéma décédé l'an passé. »

En dehors des projections publiques, le reste de l'année est consacré à la réalisation de films expérimentaux et de toutes sortes d'installations, diffusés un peu partout en Europe. Gran Lux est aussi en effet un atelier de recherche pluridisciplinaire, vivier de création plastique ou musicale, tout à la fois studio de tournage et de montage, laboratoire photo et cinéma. Ici, la pellicule est LE matériau privilégié au service de projets tous azimuts, même numériques. À la fois salle de visionnage souterraine et manufacture de films, Gran Lux demeure malgré son apparat underground un lieu ouvert à tous, à découvrir absolument.
 
Gran Lux, session de visionnage 49, du 23 septembre au 9 octobre, 11 bis rue de l'Égalerie à Saint-Étienne



Demandez le programme !

Dune, David Lynch
Walden, Jonas Mekas
Shining, Stanley Kubrick
Rétrospective Gerard Holthuis
8 ½ + Amarcord, Federico Fellini
Othello + F for fake, Orson Welles
Littérature fantôme, Nicolas Giraud
Strip-tease & bagarre, Jack Stevenson
Fellini G. Mastorna + Intérieur, Film Base
Kiss + Face + Velvet Underground in Boston, Andy Warhol


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