Avril : Mes amis, mes amours, mes emmerdes…

Comédies chorales, drames sociaux voire polars, le fameux refrain désabusé de Charles Aznavour pourrait résumer une quantité vertigineuse de films —et pas uniquement français. La preuve sur les écrans d'avril…


Du sang ou du cœur, les liens forment ces fils dont les trames narratives sont tissées. Reste à composer les meilleures bobines possibles, ce qui n'est pas une sinécure. Parfois il suffit de suivre une recette éprouvée pour y parvenir, à l'instar du vétéran Alain Cavalier avec le bien nommé L'Amitié (le 26), où le doux filmeur dresse successivement et selon son approche habituelle, les portraits de trois personnes se trouvant compter parmi ses proches : Boris Bergman (parolier de Bashung), Maurice Bernart (producteur de Thérèse et, accessoirement, époux de l'académicienne Florence Delay) ainsi que de Thierry Labelle, qui fut jadis comédien dans Libera me. Trois profils socialement opposés ayant Cavalier comme point de concours pour trois portraits révélateurs d'une part d'intimité et de malice : face à un ami, on ne triche pas.

Ce n'est pas vraiment le cas dans Ma langue au chat de Cécile Télerman (même jour), nouvelle variation sur le thème “Petits Mouchoirs“ avec bande de potes parisiens quinquas se retrouvant dans une maison de campagne en province pour se balancer leurs quatre vérités le temps d'un week-end. Le catalyseur ici est un félin qu'un convive écrase malencontreusement. Même si la distribution est farcie de gens recommandables, revoyez plutôt Mes meilleurs copains.

Ou, mieux, la premier volet de la nouvelle version du classique épique de Dumas, Les Trois Mousquetaires : D'Artagnan, de Martin Bourboulon (le 5). Doté lui aussi d'une affiche de prestige, ce grand spectacle témoigne d'une réalisation contemporaine ambitieuse autant que d'un respect à l'esprit de l'époque — donc à sa langue autant qu'à la fraternité entre les mousquetaires, mordious ! Seul bémol : il faudra patienter jusqu'à décembre pour découvrir la suite…

Si l'on n'a pas assez de duels et de conflits, on se repliera sur deux fictions infusées de réel au sein des entreprises : L'Établi de Mathias Gokalp (même date) qui retrace le calvaire (et la naïveté sincère) des intellectuels infiltrés dans les usines post-68 pour insuffler la geste révolutionnaire aux prolétaires ; et puis surtout About Kim Sohee de la Coréenne July Jung montrant comment l'exigence sociétale de la performance combinée au désinvestissement de l'État conduisent des lycéens à être surexploités jusqu'à la garde en tant que stagiaires par des entreprises peu scrupuleuses avec la complicité muette des établissements scolaires. Encore plus glaçant quand on se dit que cela pourrait bientôt arriver chez nous avec retard, à l'instar la K-pop.

Masques et faux-semblants

Et puis il y a les mouches du coche et autres empêcheurs de tourner en rond. S'ils créent du chaos, c'est parfois en réponse à un désordre ambiant beaucoup plus important. Dans Suzume, le nouvel anime de Makoto Shinka (le 12) une jeune fille libère malgré elle un esprit capable de provoquer des catastrophes naturelles qu'elle va devoir courser à travers tout le Japon pour l'empêcher d'agir — mais elle n'a pas été choisie au hasard.

Dans Le Prix du passage de Thierry Binisti (le 12), une serveuse du Calaisis devient passeuse de migrants par nécessité plus que pour exploiter ses semblables — mais l'absurdité des frontières en est la cause. Dans Brighton 4th de Levan Koguashvili, un ancien champion de lutte géorgien vient à New York sauver son fils de ses dettes de jeu et pacifier toute sa communauté — mais il y aura un prix lourd à payer. Dans Les Âmes sœurs de André Téchiné, un militaire blessé au combat et amnésique est étrangement attiré par sa sœur qui le soigne — mais il y a une raison à cette attraction et à son amnésie.

Dans Burning Days de Emin Alper (le 26), un jeune procureur rigide et plutôt porté sur les hommes tente de faire régner la loi dans un petit village turc — mais il se heurte à une communauté très unie prête à tous les stratagèmes déloyaux pour lui donner le plus de fil à retordre, voire davantage. Tiens ? Il est encore question de fil. Satané mois d'avril !


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