Pinoncelli, dernier dadaïste

Le Méliès projette en séance unique le film "Pierre Pinoncelli, l'artiste à la phalange coupée". Le foisonnant documentaire-inventaire de Virgile Novarina revient sur le parcours truculent d'un artiste inclassable disparu en 2022.


Connaissez-vous cet artiste né à Saint-Étienne qui, en 1970, entreprit de relier Nice à Pékin à vélo afin de délivrer un message de paix à Mao Zedong ? Qui en 1975, armé d'un fusil chargé à blanc, braqua une banque pour un franc symbolique en protestation contre l'apartheid ? Le même qui en 2002, à l'âge de 73 ans, sectionna à la hache une phalange de son auriculaire gauche pour dénoncer la guérilla des FARC, ravisseurs puis geôliers de la sénatrice colombienne Ingrid Bétancourt ?

La vie toute entière de Pierre Pinoncelli fut une performance, marquée par des coups d'éclats lors lesquels le trublion mettra régulièrement en jeu sa propre intégrité physique. Dans la longue liste des happenings de l'artiste, un certain nombre lui ont valu blessures, arrestations, procès et amendes. En 1969, à l'occasion de la pose de la première pierre du Musée National Chagall de Nice, Pinoncelli asperge de peinture rouge André Malraux, alors ministre d'État chargé des Affaires culturelles. Le Canard enchaîné écrira que « Pierre Pinoncelli a rendu à Malraux ses couleurs de la guerre d'Espagne » : et bim !

Artiste total, peintre transgressif (il fit partie de L'École de Nice), performeur radical et iconoclaste subversif, l'homme fit de la contestation un sport de combat et du scandale une arme, pour réveiller les consciences, avec, en filigrane, des revendications politiques assumées. Profondément anticonformiste, Pinoncelli s'est notamment attaché à démontrer l'absurdité du système institutionnel et marchand de légitimation artistique, mainmise étatique et spéculative sur le grand marché de l'art contemporain, au sein desquels les artistes sont sponsorisés, pour être mieux récupérés. Ce fut bel et bien dans cet esprit qu'il s'en prit par deux fois (en 1993 puis en 2006) à la célèbre Fontaine de Marcel Duchamp, jusqu'à briser le fameux urinoir exposé au Centre Pompidou... 

L'enfance de l'art

Dès la fin des années 60, Pierre Pinoncelli fut poussé par sa famille à consulter des psychiatres qui posèrent un nom sur ce qui n'était pour lui qu'un vaste amusement : « hypomanie, affection mentale caractérisée par de l'euphorie et de l'agitation, par l'exubérance des idées et leur succession rapide. » Vers la fin de sa vie, l'énergumène résumait ainsi son œuvre, sourire en coin, justifiant sa saine folie par cette pirouette : « On appelait ça de l'art, mais pour moi c'est juste l'enfance qui continuait. »

Dernier des Mohicans au pays du dadaïsme, Pinoncelli s'est éteint le 9 octobre 2021 au terme d'une vie hors normes. Dans son truculent documentaire achevé l'an passé, Virgile Novarina boucle une enquête minutieuse menée durant dix ans, documentant le parcours de Pierre Pinoncelli de 1960 aux dernières années de sa vie. Les échanges avec l'artiste, chez lui à Saint-Rémy-de-Provence, sont entrecoupés d'images d'archives et de nombreux témoignages éclairés. La projection se fera en présence du réalisateur et de l'association Les Amis de Pierre Pinoncelli.

Pierre Pinoncelli, l'artiste à la phalange coupée (Virgile Novarina, 2022, 85 min), jeudi 27 avril à 20h30, cinéma Le Méliès Saint-François


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