« Tout est politique »

L'une des belles surprises des Rencontres du Sud 2023 est un film bicéphale d'anticipation politique, où un homme découvre dans son courrier un test de grossesse anonyme. Rencontre avec le Benoît Volnais, co-auteur de Avant l'effondrement avec Alice Zeniter…


Vous co-signez avec Alice Zeniter ce premier film. Comment s'est réparti votre travail ?

Benoît Volnais : Depuis que  la première idée à germé en buvant un verre de vin jusqu'à la fin, on a vraiment tout fait à deux. Si bien que parfois on en rigole : « ah elle était bien ma réplique —mais non, elle est de moi ». Pendant le tournage, elle s'est naturellement occupée des acteurs parce qu'elle a une formation de metteuse en scène de théâtre et moi de la mise en scène.

Après, on a fait le montage et la production ensemble, donc c'est vraiment un film à deux. Durant le processus d'écriture, on jouait les scènes à deux ; parfois l'un se chargeait des dialogues, l'autre passait derrière et on rejouait la scène… C'était vraiment très joyeux, j'ai adoré l'expérience — je fais la même chose dans le prochain film, qui sera une adaptation. Je conseille à tout le monde de le faire !

Là, il s'agit d'un sujet original…

C'est purement une fiction, mais tout ce qu'il y a dans le film est un agencement de choses vraies, qui nous sont arrivées à Alice ou moi, ou on connaît des gens à qui ces choses sont arrivées. L'idée de la chorée de Huntington, c'est parce qu'Alice avait fait un travail avec un neurobiologiste ; la question du test de grossesse positif dans une lettre anonyme, ça m'est arrivé et Alice, un jour, m'a dit ça ferait tellement une super-histoire !

Au générique, le film indique qu'il bénéficie d'une prime à la mixité du CNC. Est-ce que cela concerne uniquement cette partie de votre travail conjoint ou bien  l'ensemble du tournage et tous les chefs de postes ?

J'ai peur de dire des bêtises et que ma productrice me tape sur les doigts, mais ce que sais, c'est que ce n'est pas lié au fait qu'Alice et moi on est une femme et un garçon. C'est vraiment en rapport avec les gens qui sont embauchés sur le film mais ça ne concerne que certains chefs de postes. Par exemple, notre cheffe déco, notre cheffe costumière, notre première assistante réalisatrice, la directrice de production et de post-production sont des femmes… Avec Alice, on n'a pas honte de le dire, c'est un film féministe aussi bien dans le propos que dans le processus de fabrication.

Pour vous dire à quel point c'est vraiment un film qu'on revendique comme féministe, à la fin de l'écriture de la première version, on avait relu le scénario en transformant tous les personnages qui sont des garçons et qui n'ont pas la nécessité impérieuse d'être des garçons en personnages féminins. Concrètement, c'est féministe en donnant du travail à des femmes.

Est-ce que votre film est un film politique ?

Il parle de politique, évidemment. Parce qu'on voit Tristan vraiment dans l'action pragmatique politique (il est directeur de campagne) ; ça parle de politique de manière idéologique (des gens ayant différentes opinions débattent de politique) ; après, je fais partie des gens qui pensent que tout est politique. Pour moi, n'importe quelle œuvre n'est pas déconnecté d'un contexte, d'une situation, d'une conjoncture sociale, donc politique.

On a écrit ce film là en 2019, tourné en 2021, il sort en 2023 … Ne pas penser au contexte politique dans lequel on fait une œuvre est pour moi un peu irresponsable. C'est ne pas voir que tout est politique. En ce sens, il n'est pas plus politique qu'un autre film ; il est juste fait en conscience que tout est politique et il parle de politique.

Si faire un film politique, c'est qu'il ait un effet politique, alors non : on fait une œuvre de fiction et on veut que les spectateurs ressentent des émotions, s'attachent à des personnages, suivent une histoire… C'est ça le plus important.

Vous avez appelé votre héros très mélancolique Tristan — cela ne doit sans doute rien au hasard. Mais quid des prénoms des autres personnages, notamment Pablo ?

Alors c'est un micmac : c'est très différent pour chaque prénom. Tristan, oui, on se disait avec Alice qu'il représentait une certaine idée de l'homme blanc romantique dans toute une tradition littéraire ; donc on n'a pas été subtil : on l'a appelé Tristan (rires).

Pablo, c'est beaucoupplus bête que ça, : notre personnage est une collapsologue qui croit à l'idée de l'effondrement de la civilisation… Comme on s'est beaucoup inspiré des écrits de Pablo Servigne, pour nous c'était un nom de travail : on l'appelait Pablo. Et puis à la fin, on s'est dit « bon Pablo c'est un prénom de mec il faut le changer. Et puis non, pourquoi ? On va le garder et ça provoquera ce genre de question ».

C'est très bien une fois de plus, c'est quelque chose de féministe. Ça peut être un surnom. En plus, il y a quand même tout un mystère autour du personnage de Pablo. Mais ça renforce ce côté mystérieux qu'elle s'appelle Pablo : on parle d'un garçon ou d'une fille ?

La croyance politique de Tristan a l'air un peu molle, par rapport à Naïma — la candidate dont il est le directeur de campagne…

Quand on le voit au début du film, il est pas du tout “mou“ :  il est là, il va chez Naïma, il a 200 pages à lire… Il va bosser. Mais le lendemain matin, il a un test de grossesse positif. Le film commence par un événement qui fait qu'il est tellement ému, abasourdi, sidéré par ce qui lui arrive qu'il rentre dans ce cheminement qui va l'amener dans cette espèce de moment de mélancolie et vers l'incapacité à agir et à penser.

Lors du repas, il ne peut émotionnellement participer au débat parce qu'il se tient entre son amoureuse et sa meilleure amie. Donc on peut penser qu'il est d'accord avec les deux et qu'il a une partie de son cerveau qui est comme Pablo, l'autre qui est comme Fanny. Mais au début du film, on montre quand même qu'il a une admiration pour Naïma.

Avant de commencer à tourner, aviez-vous des références en termes de mises en scène et des envies particulières sur ce que vouliez qu'elle soit  ?

C'est un peu particulier d'être tout seul, sans Alice, pour répondre à ces questions-là, mais c'était moi le plus cinéphile des deux et qui avais des idées de mise en scène les plus précises. Évidemment, je n'ai rien fait sans qu'Alice soit d'accord. De même, elle dirigeait les acteurs mais on en parlait tout le temps. Très concrètement, on a travaillé le découpage ensemble pendant la préparation, on a travaillé les références iconographiques, cinématographiques avec notre chef-opérateur ensemble ; on a fait le casting ensemble, on a fait des répétitions ensemble… Donc je ne voudrais pas qu'on croie d'un seul coup qu'il y a Alice avec les acteurs et moi qui réalise ; c'est vraiment un film à deux !

Ensuite, pendant l'écriture, certaines parties n'étaient pas prévues, mais se sont imposées à nous. On s'est dit qu'on aurait besoin, pour raconter cette histoire-là, de différentes parties avec différents régimes de narration. Et forcément, s'il y a différents régimes de narration, la narration c'est de la mise en scène ; de la présence (ou pas) de voix-off. C'est la question basique du fond et de la forme : la mise en scène doit s'adapter à ce régime de narration parce qu'elle fait partie intégrante de la narration. On pensait le découpage en même temps qu'on écrivait le scénario. Pour nous, c'était très très imbriqué. Et après on allait chercher dans différentes références…

Alors justement, la scène du repas. C'est l'équivalent, cinquante ans  plus tard, de la “séquence du gigot“ de Vincent François Paul et les autres, totalement féminine et contemporaine. Est-ce que ce film (ou ce moment du film) de Sautet appartient à votre galaxie de références, que vous auriez voulu réactualiser ?

Eh bien pas du tout ! C'est marrant, quand on cherchait de l'argent, chez France 2 on nous avait aussi parlé de Mon oncle d'Amérique de Resnais. On l'avait même pas vu (rires). Non, cette scène du repas, c'est peut être un peu déceptif, mais c'était la scène sidérante, magnifique selon nous, de Land and Freedom de Ken Loach quand ils envahissent le village et qu'ils demandent avec toutes les sensibilités idéologiques, comment ils vont le gérer : ça débattait idéologiquement  au cinéma pendant de longues minutes, c'était fantastique !

Il y avait une autre référence : pour nous, c'était un duel ; un  règlement de comptes au-delà de ce qui se disait. La discussion rationnelle, idéologique, était d'une certaine manière juste un prétexte pour pouvoir régler des comptes qui étaient plus de l'ordre émotionnel, du relationnel entre Pablo et Fanny.

Le gigot chez Sautet, c'est pareil…

On n'y avait pas du tout pensé. Mais je crois très fort de toute façon que c'est un film qu'on avait vu, que c'était en nous et qu'on s'en est pas rendu compte. Les films, les histoires, les images, travaillent en nous sans qu'on s'en rende compte. Mais nous, il y avait un côté plus duel, carrément western. Voilà, nos références étaient plus du côté de Rio Bravo, qui est quand même un western très bavard où les gens règlent leurs comptes par la parole; et de Ken Loach.

Remarque anecdotique sur cette scène du repas censée se dérouler au mois de juin : comment expliquez-vous la présence de raisin sur la table dans une maison de cultivateurs bio autosuffisants ?

(rires) Si vous saviez à quel point on s'est pris la tête avec la déco — il n'y a pas d'autre mot ! Ce film se passe au mois de juin dans le scénario et on l'a tourné en août-septembre. Alors quand on faisait les scènes d'extérieur avec les patates par exemple, il y avait des arbres fruitiers pleins de pommes. L'accessoiriste venait pour qu'il n'y ait pas de pommes qui dépasse, à grand renforts de ficelles. Alors pourquoi du raisin ? J'ai un peu honte du coup… Parce que Pablo l'a rapporté de Turquie (rires)


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