Il n'y a pas de mai : c'est Cannes

En mai, le cinéma est partout et presque pas dans les salles. À la rentrée, des « films de Cannes » vont se cannibaliser en sortant tous les uns sur les autres. « Pas mal, non ? C'est français », pourrait dire le Orson Welles de La Classe Américaine.


Vous l'entendez, la petite musique du mois de mai ? Mais si, vous savez : Aquarium, par Camille Saint-Saëns, cet extrait du Carnaval des animaux [sic] choisi pour accompagner la montée des marches du Festival de Cannes. Mais le mois de mai est aussi celui d'un exquis paradoxe pour les spectateurs et les cinémas français : les médias sont sursaturés d'événements peu ou prou liés au 7e Art — en particulier pendant près d'une quinzaine de jours sur la Croisette... Et pourtant, ce vacarme médiatique se trouve quasiment décorrélé de l'actualité effective des salles obscures, l'exposition cannoise profitant en effet à des longs métrages prévus pour arriver sur les écrans entre la fin de l'été et la fin de l'automne.

Certes, une maigre poignée de films ose jouer la concomitance en sortant pendant le festival : ils rivalisent alors avec des blockbusters assurés de rafler la mise (Fast & Furious X, La Petite Sirène, Les Chevaliers du Zodiaque…)  et des outsiders placés à cette date avec peu d'espoir.

Trois pour cent…

La tradition veut que quelques bribes de la fête soient offertes au public en même temps qu'aux festivaliers. Dont naturellement le film d'ouverture, en l'occurrence  Jeanne du Barry de Maïwenn cette année, visible dès le mardi 16 mai au soir. Depuis une bonne décennie, cette séance inaugurale est même synchronisée avec celle du Palais des Festivals et précédée par la cérémonie retransmise dans les salles grâce au numérique — ce sera le cas au Méliès Jean-Jaurès ou au Family Cinéma de Saint-Just-Saint-Rambert.

Mais ensuite ? Seulement deux représentants de la Sélection officielle — qui comporte tout de même, toutes sections confondues, une centaines de longs métrages  — : L'Amour et les Forêts de Valérie Donzelli (Cannes Première) et Omar la fraise de Elias Belkeddar (Séance de minuit) prévus le 24 mai dans les salles. Bien maigre pour un festin.

Cette frilosité est peu compréhensible dans une période où il faut valoriser l'expérience en salle versus la pratique du canapé-plateforme : le tremplin cannois offrirait en effet un coup de pouce immédiat à la carrière des films. Elle semble même irrationnelle quand on sait qu'une ébauche de reprise de fréquentation se profile dans les salles, bien aidée il est vrai par trois mousquetaires et un plombier : avec 19, 01 millions d'entrées en avril 2023 (le plus haut résultat depuis 2017, donc avant Covid).

En fin d'année dernière, le tsunami Avatar avait été nécessaire pour rappeler le chemin de la salle à une grande partie du public qui l'avait bien vite oublié. L'appétit vient en mangeant ; encore faut-il qu'on ait de quoi satisfaire sa faim de films…


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