Fiertés Sainté

Ils disent « dans l'ombre de Lyon », l'on répond « bastion technologique, créatif, artistique ». Ils disent « désindustrialisation », l'on répond « résilience et renouvellement ». Ils disent « inconnue au bataillon », l'on répond « Lavilliers, Robin, Dub Inc, L'Entourloop, ou Terrenoire ». Ils disent « petite ville », l'on répond « Verts et millions de supporters par-delà nos frontières ». Ils disent « noir charbon », l'on répond « humanité et lumière ».  Portrait d'un Sainté qui brille, ici et ailleurs.   


Par Niko Rodamel, Julien Haro et Cerise Rochet

Première moitié du XIXe siècle, ici, chez nous. Tandis que l'extraction de la houille transforme peu à peu la ville en place forte de la première Révolution industrielle, des ingénieurs, inspirés par le modèle anglais, vont y concevoir l'embryon de ce qui deviendra le réseau ferroviaire français. Objectif : rendre plus efficient l'écoulement de la production industrielle de la région. Trois lignes et trois compagnies pionnières verront ainsi le jour, faisant du territoire un formidable terrain d'expérimentation et d'apprentissage de la science des chemins de fer : Saint-Étienne-Andrézieux, ouverte en 1827 ; Saint-Étienne-Lyon, ouverte en 1830 et rapidement utilisée également pour le transport de voyageurs ; et Andrézieux-Roanne. Tout un symbole, pour une ville qui se revendique de la perpétuelle recherche et du mouvement… Sainté creuse, Sainté fouille, Sainté travaille, Sainté trouve, Sainté bouge ! 

L'art aux avant-postes 

Un siècle et demi plus tard, le bouillonnement est toujours d'actualité, et désormais à l'œuvre dans de très nombreux secteurs. Ville de théâtre, Sainté a vu naître quelques étoiles dans les pas de Jean Dasté, à l'École supérieure d'art dramatique de la Comédie. Plusieurs artistes y ont en effet suivi une partie de leur formation et ont depuis fait carrière, pour certains dans le septième art : citons l'acteur Pio Marmaï, le truculent Vincent Dedienne, Sami Bouajila (deux César et deux prix d'interprétation à Cannes et Venise) ou encore Abdelwaheb Sefsaf (compagnie Nomade In France), aujourd'hui à la tête du Centre Dramatique National de Sartrouville. 
Des planches de théâtre aux plateaux de cinéma, il n'y a finalement qu'une petite marche. Depuis le film d'Yves Boisset, Le juge Fayard en 1977, la cité stéphanoise a accueilli nombre de tournages sous la direction de Laëtitia Masson, Roschdy Zem, Tony Gatlif, Charlotte de Turckheim et bien d'autres. Pour son film Le Brasier en 1991, Éric Barbier mettait en scène Jean-Marc Barr et François Hadji-Lazaro au cœur du site Couriot, avec des dizaines de figurants dont quelques anciens mineurs. Jean-Claude Brisseau est lui-aussi venu par deux fois poser ses caméras dans le bassin stéphanois, pour Noce blanche en 1989 puis pour Les Savates du bon Dieu en 2000. Enfin, n'oublions pas la série de Canal + Les Sauvages, tirée de l'œuvre de Sabri Louatah (qui a grandi à Saint-Étienne), dont plusieurs scènes ont été tournées dans le quartier de Montreynaud ainsi qu'au stade Geoffroy-Guichard.

Autre domaine, autre rayon à ajouter au soleil, grâce au dynamisme stéphanois en matière d'arts plastiques. Si le Musée d'Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole héberge une impressionnante collection (plus de 20 000 œuvres), les galeries d'art font également preuve d'une belle vitalité : Ceysson & Bénétière, Berthéas (Les Tournesols), Pasqui, Estampille... De quoi rappeler, s'il en est besoin, qu'une poignée de plasticiens reconnus sont nés ou ont débuté ici, souvent issus de l'école des Beaux-Arts devenue ESADSE. Ceux qui évoquent encore « la place Marengo » pour désigner la place Jean-Jaurès ont sans doute suivi de près les débuts de l'œuvre protéiforme d'ORLAN. Ce fut ensuite au tour de Philippe Favier de placer Saint-Étienne sur la grande carte de l'art européen, suivi par Jean-Michel Othoniel, Assan Smati, Romain Langlois, Yannick Vey, Franck Chalendart, Cristine Guinamand. La nouvelle garde, avec Ella & Pitr en tête de proue, promet également de beaux jours si l'on prête attention aux créations d'Agnès Mariller, Manu Adam ou encore Florian Poulin.

Bien plus que des notes

Du côté des partitions, si les musiciens stéphanois ont souvent mis leur ville natale à l'honneur dans leurs compositions, certaines stars internationales entretiennent également un rapport privilégié avec notre belle cité forézienne. En 1966, un jeune guitariste natif de Cambridge est engagé avec son groupe de l'époque, Bullitt, pour jouer trois mois au club La Plage situé au 4 rue de la Convention, aux abords du Cours Fauriel. Avec ses comparses Rick Wills et Willie Wilson, le britannique de vingt ans passe quelques jours au Foyer des Jeunes Travailleurs du Crêt-de-Roch avant de s'installer, pour un trimestre, dans un petit appartement de la rue Jules-Ledin, vers la Place Jacquard. Si ce temps passé au cœur de la cité stéphanoise ne fera pas décoller sa carrière, le musicien poussera tout de même son périple hexagonal un peu plus loin, en passant par Saint-Tropez, puis Paris, avant de retrouver son Angleterre natale. Un an plus tard, il rejoindra le groupe Pink Floyd en remplacement du leader Syd Barrett et poursuivra son destin de légende du rock progressif. Son nom ? David Gilmour…

16 ans plus tard, c'est au tour du mythique guitariste Franck Zappa de livrer au public une version dantesque de son morceau « Drowning Witch », lors de son passage au Palais des Sports. Très fier du résultat, et notamment du second solo, il décidera, quelques années plus tard, d'isoler cette partie musicale pour la graver dans le sillon de son nouvel album instrumental, Jazz From Hell, sorti en 1986… Et pour nommer ce solo d'exception, rien de mieux que de lui donner le nom de sa ville de création : « St. Etienne ».

Foot et musique

Souffle stéphanois toujours, avec un peu de ballon rond… Tandis que l'Association Sportive de Saint-Etienne a inspiré au fil des décennies de nombreuses chansons de plus ou moins bonne facture, son impact sur le monde de la musique ne se limite pas à de simples chants de supporters. En 1990 en effet, les musiciens Peter Wiggs et Bob Stanley décident de monter un groupe avec la chanteuse Sarah Cracknell. Férus de sport et fans inconditionnels du football des années 70, les deux Anglais ont alors l'idée de nommer leur formation du nom d'une équipe de foot française ayant fait battre le cœur de l'Europe en 1976 : Saint Etienne ! L'année 2023 leur aura permis de souffler en mars les trente bougies de leur album So Tough dont la pochette du vinyle illustre même par un dessin Bob Stanley habillé en attaquant des Verts !

Comment expliquer alors, que notre ville souffre encore aujourd'hui de vieux clichés éculés malgré une Histoire qui fourmille d'anecdotes, de lieux, d'artistes fascinants ? Sans doute, la modestie stéphanoise (grande qualité !) n'aura pas permis à cette effervescence d'être reconnue aux 6 coins de l'Hexagone. Qu'importe, puisqu'au-delà de son prestige certain, Sainté n'est jamais plus riche, plus belle et plus intéressante que lorsqu'elle donne ce qu'elle a à ses habitants. Des assos qui font des merveilles avec parfois des bouts de ficelles, des structures culturelles qui permettent aux artistes d'éclore et au public de rêver, des commerces indés où chiner, des bistrots où l'on t'embrasse comme du bon pain, des événements qui fédèrent… En bref : une croyance en nous-mêmes, et c'est bien là l'essentiel.


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