Yolande Moreau : « Il est urgent de désobéir. »

Dans son troisième film comme réalisatrice, Yolande Moreau incarne Mireille, une ex taularde jadis tombée amoureuse d'un poète qui revient dans la demeure familiale et la transforme en maison d'hôtes. Un conte entre tendresse et fantaisie avec une pointe d'absurdité, à son image. Rencontre.


Est-ce que vous vous êtes écrit ce rôle pour pouvoir tourner avec quatre jeunes hommes ?

Yolande Moreau : C'est évident que je me suis fait plaisir ! (rires) Mais je voulais surtout quatre hommes pour faire un parallèle avec la sœur de Mireille, qui est un symbole de la réussite et qui, à un moment donné, dit qu'elle a eu trois garçons. Je voulais que ce soit un peu comme des enfants ou des petits fiancés potentiels. C'est quand même une famille un peu subversive : avec le préféré, celui qui est doux, celui est sympathique…

Modifiez-vous le parcours de vos personnages après casting ?

En tout cas, il est modifié, dans la mesure où on cherche à fabriquer une communauté. Le seul que  je voulais au départ, c'était Grégory Gadebois. Après, il a fallu composer et ça m'a plu. C'est pas tout de suite que c'est venu le fait qu'il aient des âges différents : 20, 30, 40, 50 ans… Et ça marchait bien. Il faut croire au potentiel de chacun ! Après, je trouve que tous les personnages existent. Ils sont bien visibles et ça fonctionne à l'écran.

Il y a un personnage masculin supplémentaire plus âgé, en surplomb et en périphérie…

William ?

Oui, William Sheller. C'est quand même par son personnage que l'idée de la pension de famille arrive…

C'est lui qui a le plus de lucidité sur le monde qui nous entoure. Il fallait un curé de mon enfance, quelqu'un de plus âgé que moi — ça commence à devenir dur à trouver (rires) J'ai pensé à William, Il est tellement singulier. Il n'avait jamais joué, mais comme il interprète ses chansons sur scène… J'ai été le trouver, en mode ça passe sous ça casse… Je le trouve formidable.

Il est question de faussaires dans votre film. Pensez-vous que les comédiens sont à leur manière des faussaires ?

Les comédiens en général, je ne dirais pas. On fabrique avec des choses qui nous sont très proches, quelque part… C'est toujours un mélange de ce qu'on connaît de la société, de l'autre et de soi. Et ça raconte une histoire. En ce qui me concerne, je retourne à ma boucle : je me suis toujours considérée comme usurpatrice depuis le départ. Un journaliste m'a fait remarquer que le village du film s'appelait Monthermé — “mon terme“ (rires). Quand je faisais du théâtre, je me disais : « qu'est-ce que tu fous là ? Tu es trop timide, t'as pas le profil pour ça… » Mais d'abord, il faut jouer vrai ! Jérôme Deschamps ne disait pas grand chose comme directeur d'acteurs, mais il se rappelait de temps qu'il ne fallait pas tricher.

Pensiez-vous d'emblée être aussi proche de l'actualité avec ce film ?

C'est d'actualité dans le sens où, avec tout ce qui nous entoure, il n'y a plus de rêve possible. On est tous un peu conditionné par le pouvoir de l'argent. Le film est léger : c'est un conte, mais il y a quand même tout ça derrière. Je pense qu'il est urgent de désobéir. Le film est un peu libertaire quand même : il incite à marcher hors des clous. à oser marcher dans le brouillard, là où on ne sait pas où l'on va. À prendre des risques et remettre les valeurs essentielles au centre. Je pensais au pianiste qui joue dans les ruines en Syrie. C'est une image qui a frappé tout le monde. J'ai vu aussi récemment un reportage sur une « avancée spectaculaire » : les jeunes peuvent avoir une carte bancaire dès 7 ans pour « apprendre à gérer leur leur argent » ! Toute cette société cherche à nous faire marcher au pas dès le départ ! Est-ce que c'est vraiment ça qu'on veut ?

Vous n'avez jamais marché au pas…

J'ai eu la chance extraordinaire de pouvoir faire un métier que j'aime et d'en vivre. J'ai fait tout pour aussi, mais quand même : je connais de très bons acteurs qui ne travaillent pas. Quelle chance on a dans ce métier de pouvoir faire des films !

Vous parliez d'un film un peu libertaire ; je ne dirais pas jusqu'à dire par moment libertin, mais il y a quand même un regard volontiers coquin. De tous les films que vous avez réalisés, celui-ci est le plus joyeux sur ces questions.

Tant mieux. C'est pas à se taper la cuisse mais en tout cas il y a une forme de légèreté avec des choses graves derrière.

Il y a un autre faussaire dans le film, qui falsifie sa vie, c'est le poète. Il intervient physiquement très tardivement, Pour vous qui venez du théâtre, il est comme Tartuffe qui surgit à l'Acte III…

J'ai pas pensé à Tartuffe. Vous m'y faites penser (rires) Mais je l'évoque assez tôt par la poésie, par les mots…Et je remercie, Sergí Lopez aussi, d'avoir accepté d'emblée d'arriver à la moitié du film. C'est pas un type qui fait des plans de carrière. Qand il est venu voir le film à Angoulême, il chialait, il chialait… Ça m'a plu qu'il chiale (rires).

La poésie est-elle importante pour vous ?

Oui j'ai voulu faire de Mireille un personnage fantasque. Je l''étais à 18 ans : je disais vouloir faire un métier artistique pour ne pas mourir. La phrase est quand même lourde mais je comprends toujours ce je voulais dire à l'époque : je voulais vivre intensément, autre chose. Et je suis partie très jeune de chez moi. Il y a des trucs que j'ai un peu piqués — on s'en fout, ça devient universel. L'autre jour, une femme m'a dit : « Il est important pour moi ce film : j'avais oublié de vivre ».

Vos remerciements de fin de film sont inhabituels : ils ressemblent à un témoignage de gratitude très chaleureux loin des formules convenues…

Oui. comme je dis là-dedans, le cinéma est vraiment un art collectif, et je trouve que c'est l'énergie de tout le monde — artistes et techniciens — qui fait qu'un tournage est joyeux. Sauf qu'Esteban mangeait tout le temps de la tarte au maroilles (rires).


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