Tim Story

Tim Burton, cinéaste, poursuit avec Sweeney Todd l'exploration de son univers gothique, baroque et poétique, en compagnie de son alter ego de comédie Johnny Depp. Christophe Chabert

Dans les années 80, le cinéma américain ne brillait ni par son audace, ni par sa folie. Alors que des cinéastes en costard cravate tournaient des produits plus lisses que le marbre toscan, et que Top Gun ou Le Flic de Beverly Hills triomphait au sommet du box-office, un garçon mal rasé et coiffé en pétard, ado attardé et geek complexé, mettait un joyeux bazar sur les écrans avec deux films déjantés : Pee Wee's big adventure et Beetlejuice. Décors factices soigneusement de traviole, personnages improbables aux obsessions déroutantes, univers morbide ou haut en couleurs : la légende Tim Burton était née.

La force tranquille

23 ans plus tard, Tim Burton, qui va aujourd'hui vers la cinquantaine, n'a pas changé de coiffeur ; ses lunettes aux verres colorés sont aujourd'hui résolument sombres, et la panne de rasoir s'est transformée en bouc poivre et sel habilement taillé. Pendant la conférence de presse qu'il donne pour la sortie de Sweeney Todd, face à des journalistes unanimement conquis, il gère peinard son capital sympathie. Comme les frères Coen, comme David Lynch, Burton n'est pas du genre à commenter le sous texte de ses films, à se livrer à des exégèses poussées de leurs thèmes récurrents, ou même, comme il le souligne avec malice, à faire «une psychanalyse» en public. Il faut se contenter de maigres confidences sur son parcours.

Par exemple, quand son compère Johnny Depp lui dresse des lauriers («Hollywood a essayé de faire plier Tim, mais n'y est jamais arrivé»), il rectifie mezzo voce : «Quelques fois quand même, mais je préfère ne pas m'attarder là-dessus». Ou encore ce commentaire sur sa confiance actuelle dans son équipe et ses qualités de metteur en scène : «Plus de story-board comme avant, juste le travail avec les acteurs sur le plateau. Quelques dessins pour visualiser les éléments pendant la préparation, mais c'est vraiment quand les comédiens sont en costumes dans les décors que les choses se mettent en place». Burton heureux, comblé, et peut-être enfin récompensé : Sweeney Todd vient de rafler deux golden globes et pourrait repartir avec une poignée d'oscars.

Acteurs plastiques

En fait, le tournant de la carrière de Burton, ce n'est pas le succès de Batman, blockbuster plutôt guindé auquel il donnera une suite nettement plus personnelle (Batman le défi) ; c'est ce conte de fée gothique qu'est Edward aux mains d'argent. Il y croise pour la première fois la route de Johnny Depp ; la fusion est instantanée, évidente.

Récit de Depp : «Une énergie, une connexion naturelle et immédiate s'est instaurée entre nous, même si je pensais qu'il ne me choisirait jamais pour ce rôle». Version de Burton : «Je ne connaissais pas le travail de Johnny, je ne regardais pas 21 jump street tous les soirs. Sans penser au futur, car ça ne se passe jamais comme ça, je me suis juste dit qu'il était à 100% le personnage d'Edward». Il sera ensuite à 100% Ed Wood, Ichabod Crane dans Sleepy Hollow, Willie Wonka dans Charlie et la Chocolaterie et aujourd'hui Benjamin Barker/Sweeney Todd, le barbier assassin et ivre de vengeance. Peau blanchâtre et coiffures impossibles, Depp se plie à la fantaisie plastique de Burton, lui apportant une souplesse et une candeur juvéniles.

«Depuis Edward aux mains d'argent, j'ai toujours parlé avec Johnny des grands films d'horreur classiques, ceux dans lesquels jouaient Boris Karloff ou Peter Lorre. C'est de là que provient mon envie de laisser le dialogue s'instaurer par les yeux des acteurs ou par la musique plutôt que par les mots». Une complicité que l'on retrouve avec les actrices-compagnes de Burton, la longiligne Lisa Marie et aujourd'hui la très rock Helena Bonham Carter.

Sur Sweeney Todd, Burton a élagué le scénario de la plupart de ses parties jouées, préférant les purs moments visuels et les nombreuses séquences musicales. Sans pour autant renoncer à son goût pour le mélange entre féerie et éclats gore. «C'est comme si Edward était devenu méchant et aigri après des années à subir des brimades...»

Freaks & Geeks

Avec Johnny Depp, Burton a élaboré la grande figure qui traverse tout son cinéma : celle du marginal rejeté par l'autorité, la foule ou le système, et qui peu à peu reconquiert sa dignité et son identité. Obstinés, naïfs, ou les deux, les personnages de Burton rament à contre-courant, sont régulièrement ramenés vers le rivage puis continuent à se battre. Mais, comme le résume Johnny Depp, «la signature de Tim est partout». C'est une évidence, même dans des films de commande mal-aimés comme La Planète des singes ou Mars attacks. Le plus étonnant étant qu'à quelques revers près, Burton est resté un cinéaste populaire et influent, ayant été cité (pillé) par toute une génération de cinéastes et d'artistes (il n'y a qu'à regarder la production de courts-métrages 3D pour voir à quel point il est presque impossible de sortir de cette référence écrasante).

En 2008, si le cinéma américain est si riche et inventif, il le doit plus à des cinéastes comme Tim Burton qu'aux serpillières clonées par les studios hollywoodiens.

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