Syngué Sabour

Syngué Sabour - Pierre de patience
De Atiq Rahimi (Fr-All-Afghan, 1h42) avec Golshifteh Farahani, Hamidreza Javdan...

Atiq Rahimi a-t-il eu raison d’adapter son roman, lauréat du Prix Goncourt, à l’écran ? Pas vraiment, tant le film a du mal à aérer son huis-clos et à échapper aux scories d’un world cinéma académique. Christophe Chabert

Syngué Sabour, le livre, reposait sur un monologue-confession fait par une femme afghane auprès de son mari dans le coma, blessé d’une balle dans la nuque. Comment porter à l’écran ce récit anti-spectaculaire ? Comment passer de la parole pure à sa mise en espace ? Il faut reconnaître à Atiq Rahimi une bonne décision, peut-être la seule de cette auto-adaptation : miser énormément sur son actrice principale, l’épatante Golshifteh Farahani, pour apporter une force d’incarnation très troublante à son personnage. À la fois fragile et déterminée, sensuelle et contrainte à la pudeur, elle lui confère une vie que le scénario, chargé d’intentions et de vouloir-dire, ne cesse de lui dénier. Car le premier écueil de Syngué Sabour, c’est la lourdeur de son discours : il ne s’agit pas seulement pour cette femme de raconter le présent des événements à cet époux sans réaction, mais aussi de révéler derrière le héros de guerre célébré le mari négligent, sourd au désir de sa compagne, égoïste et in fine machiste. Récit d’émancipation très théorique, dont l’horizon est beaucoup trop évident : dire que la femme afghane n’a pas encore gagné le droit d’exister en tant que femme.

Politique du crépi

Le film se heurte aussi à son dispositif, qui n’arrive jamais à être tout à fait cinématographique. Rahimi et son scénariste Jean-Claude Carrière ont beau essayer d’aérer l’action, celle-ci revient toujours entre les quatre murs de la maison où elle se retrouve mise en mots, pure paraphrase des images. Si la photo est belle, si la caméra tente de créer de la sensualité en caressant décors et corps dans un même mouvement, l’impression est celle d’une scénographie théâtrale un peu raide — du crépi des murs à l’évocation de la guerre, laissée systématiquement hors champ — quelque chose comme du Peter Brooke mal imité. Signe évident de ce manque de confiance dans le cinéma : l’intensification parfois absurde des bruitages et des effets sonores, comme si Rahimi prenait conscience des limites de sa mise en espace et cherchait, par un biais détourné, à lui donner du relief. Un sujet traité en thèse, antithèse, synthèse, un rapport purement illustratif à la mise en scène, un zeste de bonne conscience : Syngué Sabour a le parfum de cet académisme Télérama qui règne aujourd’hui dans le world cinéma.

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