Cannes, jour 2 : Du vieux avec des jeunes

Jeune et Jolie de François Ozon. The Bling ring de Sofia Coppola. A touch of sin de Jia Zhang-ke.

Ce deuxième jour — moins pluvieux que ce qui avait été annoncé — a marqué l’irruption de la jeunesse dans les différentes sélections. Pas la jeunesse des cinéastes, mais la jeunesse comme sujet d’étude. Ce qui, en soi, dit déjà la limite de Jeune et jolie de François Ozon (en compétition) et The Bling ring de Sofia Coppola (en ouverture d’Un certain regard) : deux films qui prétendent faire un point sur la jeunesse contemporaine, mais qui n’en gardent en définitive qu’une matière à dissertation, sentimentalo-cul chez Ozon, sociologique chez Coppola.

Jeune et jolie est en cela particulièrement contestable. Il attrape son héroïne, Isabelle (Marine Vacth, très bien, même si le film aurait pu lui ouvrir une palette d’émotions encore plus grande), 17 piges, dans la lunette d’une paire de jumelles, sur une plage déserte, en plein bronzage topless. Ozon s’offre un effet de signature très visible par rapport à son œuvre, mais c’est une fausse piste ; pas de voyeurisme là-dedans, mais le portrait en «quatre saisons et quatre chansons» d’une adolescente qui découvre le désir. D’abord entre les bras d’un Allemand estival, le temps d’un dépucelage qui se passe mal et qu’Ozon met en scène comme un adieu à la pureté. Poussant cette logique jusqu’au bout, il retrouvera Isabelle à Paris en automne, devenue prostituée sous le nom de Léa, monnayant ses services auprès de clients âgés, notamment un sexagénaire nommé Georges.

Il y a déjà de quoi tiquer sur cette vision de la femme qui passerait directement de vierge à putain. Il y en a encore plus à voir Ozon dialoguer son film comme un Plus belle la vie, et à y placer des péripéties que l’on devine toujours cinq minutes à l’avance, lorsque celles-ci ne se résument pas à un pauvre vaudeville — la mère et son amant, par exemple. Surtout, on est graduellement irrité par la façon dont Isabelle est systématiquement ramenée à un prototype d’adolescente d’aujourd’hui, matérialiste et irresponsable, perverse et manipulatrice, que tous les adultes qui passent se chargent de remettre dans le droit chemin.

Cinéaste volontiers sarcastique, Ozon pourrait se moquer de cet entourage moralisateur. Mais c’est plutôt l’inverse qui se produit. Par exemple, lorsque deux flics débarquent pour mettre fin au manège d’Isabelle / Léa, on a droit au petit couplet sur les jeunes et internet, et on se croirait dans le pire des Tavernier. À l’inverse, Isabelle a quelque chose de profondément antipathique dans sa façon de tester les limites de gens qui, même un peu à côté de la plaque, ne veulent dans le fond que son bien.

La manufacture plutôt soignée de Jeune et jolie a tendance à renforcer cette roublardise et ce côté film de vieux sur les jeunes. Par exemple, était-ce vraiment une bonne idée de placer quatre chansons de Françoise Hardy, bien surannées, pour illustrer cette histoire ô combien contemporaine ? Et devait-on en passer par ce couplet final où c’est une fois de plus une vieille sage qui permettra à Isabelle de sortir de sa névrose et de sa culpabilité ?

The Bling ring, donc, a quelques points communs avec Jeune et jolie. Mais là où Ozon a tendance à visser sa forme en petit maître, Sofia Coppola semble chercher d’un bout à l’autre la mise en scène adéquate pour raconter son fait-divers : comment quatre filles et un garçon, tous issus de la moyenne bourgeoisie de Los Angeles, en sont venus à cambrioler les villas des stars qu’ils adulaient. Le film ne va pas beaucoup plus loin dans son arc dramaturgique : un cambriolage, puis un autre, puis un autre, avec des virées en boîtes au milieu où les ados se prennent en photo puis postent le tout sur Facebook, avant que tout ce petit monde ne soit rattrapé par la justice.

L’obsession de la célébrité et de la mode, la déréalisation du monde et sa réduction à quelques clics permettant de s’immiscer dans la vie des autres : voilà des sujets qui, à défaut d’être forts ou nouveaux, paraissaient taillés sur mesure pour Sofia Coppola. Mais dont elle ne fait pas grand chose. Adoptant un point de vue surplombant qu’on ne lui connaissait pas, confondant comédie et ricanement, elle se contente de déverser une ironie facile sur ce petit monde, comme si elle faisait son autodafé auprès de ceux qui ne voient en elle qu’une petite fille riche, frivole et pleurnicharde.

The Bling ring ne dégage aucune griserie et ne témoigne d’aucune empathie envers la jeunesse qu’il montre. La comparaison avec Spring breakers, qui épousait totalement par sa mise en scène les rêves de ses héroïnes afin d’en pointer de l’intérieur le caractère dérisoire ou destructeur, ne plaide pas franchement en sa faveur. Coppola s’en tient à une très banale leçon sur le tout fout le camp, à la fois creuse et répétitive, comme si elle feuilletait en se pinçant le nez les pages mode ou people d’un tabloïd. Immense déception !

On commençait à se faire du souci pour ce début de Cannes 2013, quand soudain Jia Zhang-ke est venu frapper le premier grand coup de la compétition. Et ce d’autant plus qu’A touch of sin ne figurait vraiment pas parmi les films les plus attendus de la sélection. Mais voilà un cinéaste au sommet de sa forme créative, qui prend le risque d’emmener son cinéma vers des rives nouvelles. La première demi-heure laisse même croire que l’on tient là un chef-d’œuvre : dans une province chinoise reculée, un quinquagénaire se révolte contre le libéralisme qui a entraîné privatisations, corruption et misère dans son village. Révolte verbale d’abord, puis les armes à la main, lorsqu’il décide de faire la peau aux petits chefs et aux grands pontes qui l’ont humilié.

Reconnu comme un grand contemplatif avec son magnifique Still life, Jia Zhang-ke ose s’aventurer vers le cinéma de genre, avec des éclats de violence et des gunfights au timing électrisant qui rappelle autant les polars de Johnnie To que les westerns de Sergio Leone. Étonnante transformation, qui préserve toutefois ce qui a toujours fait la force de sa mise en scène : une capacité unique à inscrire les corps dans l’espace, à magnifier à la fois les personnages et les décors.

A touch of sin se présente comme un récit marabout-bout de ficelle où quatre histoires s’enchaînent, entraînant à chaque fois le film vers d’autres horizons (polar, drame amoureux, romance adolescente) avec en ligne de mire un surprenant discours politique. Jia Zhang-ke montre ainsi une Chine où le capitalisme a enterré dans un même geste funeste l’idéal communiste et les aspirations de la jeune génération, complètement désabusée. Sinistre constat, que la structure du film intensifie — des vieux aux jeunes, de la résistance à l’acceptation désespérée — mais que l’on peut aussi laisser de côté pour se consacrer aux mille et une trouvailles du cinéaste. On croisera ainsi une femme entourées de serpents, un hôtel ultra-moderne rempli d’hôtesses soumises à des fantasmes délirants caricaturant la splendeur de la Chine maoïste, un tueur solitaire qui préfère retourner à ses basses œuvres plutôt que retrouver sa famille… Des personnages en quête d’ailleurs et d’exil mais qui n’arrivent jamais à échapper à l’ordre écrasant d’un pays entre anarchie et anachronisme.

Généreux jusqu’à un certain épuisement, imparfait, inégal, A touch of sin est toutefois, d’un bout à l’autre, du pur cinéma porté par un sens proprement inouï de la mise en scène. Le genre de film que l’on s’attend à trouver dans une compétition cannoise qui se respecte et dont on est, du coup, curieux de connaître la suite…

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