Pas son genre

Pas son genre
De Lucas Belvaux (Fr, 1h51) avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery...

Lucas Belvaux raconte l’histoire d’amour utopique et contrariée entre un prof de philo parisien et une coiffeuse d’Arras, avançant sur le fil des clichés pour renouveler adroitement son thème de prédilection, la lutte des classes, ici envisagée sous l’angle de la culture. Christophe Chabert

Pas son genre débute comme une version sérieuse de Bienvenue chez les Ch’tis, avec un prof de philo parisien dans le rôle de Kad Merad. Muté à Arras, qui prend la place de Bergues en guise de punition sociale, il ne tombe pas amoureux de la chaleur humaine des gens du Nord, mais d’une coiffeuse, mère célibataire, lectrice d’Anna Gavalda et adepte du karaoké. D’où choc culturel.

Grâce à la mise en scène de Lucas Belvaux, ce choc est aussi cinématographique : si Clément semble l’héritier naturel d’une tradition «nouvelle vague» d’intellectuels beau parleur, un brin arrogants et peu avares en citations littéraires, Jennifer paraît s’être échappé d’un film de Jacques Demy, aimant la vie, les couleurs, les chansons et la légèreté. Belvaux démarre donc leur romance sur le fil des clichés, même s’il a l’intelligence de les renverser régulièrement : Jennifer décale sans cesse le moment de la relation physique, tandis que Clément se pique au jeu de cet amour courtois anachronique envers celle qu’il a d’abord pris pour une proie facile.

Quant à Arras, cette ville où l’on répète à plusieurs reprises qu’il n’y a rien à y faire, elle se transforme en carte postale du désir ordinaire, entre hôtel sans charme, boîte de nuit popu et multiplexe farci au pop corn et au cinéma américain.

La carte sociale du cœur

Il y a dans Pas son genre comme dans la plupart des films de Belvaux l’envie de parler des utopies qui se fracassent sur la réalité sociale. Mais là où d’ordinaire il abordait le sujet par un biais politique, il déplace cette fois la question vers des rivages culturels. Où l’on découvre que la culture populaire n’est pas la culture dominante, car elle est avant tout la culture des dominés, un peu honteuse face à celle bardée de certitudes des élites érudites. Si Clément accepte un instant d’oublier sa rigidité pour se laisser aller à danser sur de la mauvaise variété, et si Jennifer parvient au bout de L’Idiot de Dostoïevski portée par l’histoire racontée, ces petits pas ne sont rien face à un malentendu bien plus profond : Clément est celui qui réfléchit et doute, tandis que Jennifer est celle qui vit et rêve.

Belvaux ne joue pas un personnage contre l’autre — si Émilie Dequenne est extraordinaire et génialement filmée, Loïc Corbery s’en tire plutôt bien avec un rôle nettement plus ingrat — mais son point de vue de cinéaste est clair : dans un ultime mouvement, où il assume la part mélodramatique de son film, il prône une fois de plus la raison du (de la) plus faible comme seule issue à cette impasse amoureuse dans laquelle, comme elle, on a cru une heure quarante durant.

Pas son genre
De Lucas Belvaux (Fr-Belg, 1h51) avec Émilie Dequenne, Loïc Corbery…

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