Cinéma : les écrans montent d'un cran

En quatre mois, le parc des cinémas stéphanois aura été bouleversé du tout au tout, ou presque. De l’ouverture du Camion rouge à la reprise du France devenu Méliès Saint-François, en passant par celle du Gaumont transformé en Alhambra, gros plan sur les enjeux de ce grand chambardement. Christophe Chabert

Tout s’est passé à la vitesse de la lumière projetée sur un écran. Façon Blitzkrieg, en l’espace de quelques mois, le parc cinématographique stéphanois aura donc été bouleversé quasiment de fond en comble. Début 2014, la perspective de l’ouverture du Camion rouge sur le site rénové de la caserne Chavanelle était la seule grande nouveauté à l’horizon. Mais en septembre, Le France a été racheté par Paul-Marie Claret, propriétaire du Méliès, et rebaptisé Méliès Saint-François. Dans la foulée, la direction du Gaumont annonçait que le groupe ne souhaitait plus continuer l’exploitation à Saint-Étienne. Sylvie Duparc, déjà gérante du Royal, dont la fermeture est annoncée pour début janvier, et du futur Camion rouge, a décidé de reprendre le cinéma, lui rendant son nom historique, L’Alhambra. D’où question : en quoi cette nouvelle répartition des forces va-t-elle affecter l’offre cinématographique locale ?

Un camion rouge pour éteindre l’incendie ?

Sylvie Duparc n’est pas une inconnue dans le monde de l’exploitation cinématographique, française comme stéphanoise… Son père possédait depuis les années 70 deux salles à Dijon et, en 1981, la famille débarque à Saint-Étienne pour racheter Le Royal, avant de le rénover en 1984. Cinq ans plus tard, elle fait l’acquisition de l’Eden, lâché par UGC, qu’elle fermera «pour raisons de sécurité» en 2000, au moment de l’ouverture du… Gaumont ! Ensuite, elle se consacre à l’ouverture d’un multiplexe dans le centre de Dijon, disant préférer «les cinémas en centre-ville plutôt qu’en périphérie». Elle attend ainsi son heure pour faire de même à Saint-Étienne et c’est lors de sa visite, en décembre 2012, de la caserne Chavanelle, qu’elle dit «avoir eu le coup de foudre pour le bâtiment, avec son architecture si particulière». Elle monte un groupe d’investisseurs et soumet son projet, qui est accepté par les diverses commissions d’attribution. Après de longs travaux, le cinéma, constitué de 10 salles et 1600 fauteuils, est prêt à ouvrir fin décembre — si, toutefois, les caprices météorologiques ne repoussent pas son inauguration d’une quinzaine de jours… Dans la foulée, Le Royal fermera ses portes, une partie de son matériel de projection transférée au Camion Rouge. Quant au cas de l’Alhambra, Sylvie Duparc explique que sa relation «historique» avec le groupe Gaumont-Pathé, qui programme l’ensemble des salles dont elle a la gérance, lui a donné la priorité pour la reprise du lieu. Elle se retrouve donc à la tête d’un parc de vingt écrans, donc dans une position dominante concernant l’exploitation à Saint-Étienne.

Deux Méliès pour le prix d’un

Au Méliès, les choses se sont là aussi faites rapidement, durant la "trêve" estivale. Le France et ses deux écrans, que Le Méliès programmait depuis plusieurs années via Sylvain Pichon, étaient à vendre, et Paul-Marie Claret a proposé un projet de rachat. Dès septembre, le cinéma changeait d’enseigne et devenait Méliès Saint-François, permettant enfin la synergie complète entre les deux sites : un seul abonnement pour les six salles, une programmation qui joue la complémentarité, des événements partagés… Surtout, l’idée est de profiter de la grande salle du Méliès Saint-François pour proposer des films qui, jusqu’ici, étaient un peu à l’étroit dans les salles de Jean Jaurès — comme Interstellar, en VO uniquement à Saint-François. Les premiers résultats sont encourageants, les entrées ayant considérablement augmenté depuis la réouverture — environ 30% de spectateurs en plus. Lors de l’inauguration officielle du lieu, Sylvain Pichon et Paul-Marie Claret ont toutefois souligné que leur ambition ne tenait pas seulement à des questions de programmation, mais aussi à une nouvelle expérience de la salle de cinéma, plus conviviale et plus ouverte, dans un rapport de proximité avec le public, pour décloisonner l’image d’un cinéma art et essai dont les jeunes spectateurs ont tendance à s’éloigner.

Le public, grand gagnant du loto ?

Les conséquences de ce grand remue-ménage sont diverses, et devront être analysées sur la longueur, lorsque chaque site aura trouvé sa vitesse de croisière. On peut déjà en pointer une, manifeste : le cinéma à Saint-Étienne sera globalement moins cher pour les spectateurs. Sylvie Duparc à l’Alhambra a ramené le plein tarif de 10, 90€ à 9, 20€ — tarif qu’elle appliquera aussi au Camion rouge. Et si Le Pass Gaumont Pathé ne sera pas renouvelé après le 31 décembre, de nouveaux abonnements seront valables sur les deux sites, ramenant là encore le ticket à une somme raisonnable. Il en est de même pour le(s) Méliès, puisque désormais les spectateurs peuvent passer d’un cinéma à l’autre sans avoir besoin de prendre un abonnement de chaque côté. Les séances du matin à l’Alhambra et au Camion Rouge, les mercredi, samedi et dimanche et durant les vacances scolaires, seront là aussi proposées à des prix réduits, tout comme les avant-premières, que le directeur des deux lieux annonce «régulières». Pour l’instant, on ne sent pas d’hostilités d’un côté ou de l’autre, plutôt un «wait and see» prudent, tant le vrai point de divergence se jouera semaine après semaine sur des questions de programmation. Lors de sa conférence de presse, Sylvie Duparc a insisté sur l’envie de travailler en bonne intelligence avec Le Méliès, chacun restant dans son pré carré, cinéma commercial et grand public côté Camion Rouge / Alhambra, cinéma art et essai côté Méliès. Sauf que les choses ne sont pas aussi simples que cela, et que l’exploitation cinématographique est devenue une source inépuisable de conflits larvés ou ouverts dans ce que le milieu appelle "l’accès aux copies".

Les incertitudes de la programmation

Sylvie Duparc définit ainsi la politique de programmation du Camion Rouge : «une programmation plus jeune, de style multiplexe, avec peu de films français, de la VF, pas de films d’auteur.» L’Alhambra, du coup, resterait sur un créneau proche de celui de l’ancien Gaumont, avec des films ayant droit à une ou deux séances en VO par semaine, du cinéma français populaire façon Gemma Bovery et du hors écran, c’est-à-dire les retransmissions d’opéras, de ballets, de concerts ou d’événements spéciaux. C’est là où le bât risque de blesser, car Le Méliès, comme on l’a dit plus haut, n’a pas envie de s’en tenir à une programmation art et essai dogmatique et figée. L’an dernier, Sylvain Pichon avait dû batailler pour obtenir une sortie VO de Pacific Rim auprès de son distributeur, et avait fait grincer quelques dents dans le milieu en déclarant au Film français que, pour lui, le film de Guillermo Del Toro était plus un film d’auteur que Chez nous, c’est trois de Claude Duty. Si personne ne disputera au Méliès des films très pointus comme, récemment, ceux de Godard ou de Cavalier, les choses seront sans doute plus tendues lorsqu’il s’agira de sortir en première semaine certains films français d’auteur "grand public". On peut aussi prendre un cas comme celui de Mommy de Xavier Dolan, qui a connu une exposition plutôt exceptionnelle pour un film en VO, de plus signé par un jeune cinéaste qui, jusqu’ici, n’avait guère franchi les portes des multiplexes ! Et qu’en sera-t-il des films n’ayant pas droit à une VF, comme ce fut le cas cette année de Her et surtout de Grand budapest hotel, plus gros succès de l’art et essai en 2014 ?

Sortir les films, mais comment ?

Il faut espérer que la coexistence pacifique souhaitée par tout le monde ait bien lieu, tant un conflit risquerait d’affaiblir chaque partie… De toute façon, la question qui se pose à tous reste celui de l’accompagnement des films mais aussi du public : comment faire du cinéma un espace de vie, et pas seulement un lieu de passage ? Comment fidéliser le spectateur pour lui donner envie de revenir ? Et comment l’inviter à la curiosité, à la prise de risque ? Question partagée par les multiplexes comme par les salles art et essai, même si les réponses sont parfois diamétralement opposées : la qualité de l’accueil et les à-côtés sont fondamentaux pour faire vivre les lieux, que ce soit le café du Méliès Jean Jaurès, avec ses nombreuses soirées Dj, ses expos, ses skype avec des réalisateurs un peu partout dans le monde, ou l’activité commerciale qui devrait entourer le futur Camion Rouge de la place Chavanelle. Mais la communication reste une des clés de cette fidélisation : la Gazette des Méliès, tirée à 30 000 exemplaires chaque mois, et dans laquelle les films et les événements du cinéma sont présentés aux spectateurs, reste un vecteur solide et unique, même si cela pousse à prendre quelques risques sur une programmation mensuelle, moins flexible que la programmation hebdomadaire des multiplexes.

Les liens tissés avec les associations en sont une autre : les soirées pop-corn du Méliès avec Mes Couilles Dans Ton Slip, l’accueil des festivals comme Face à Face ou Curieux voyageurs, mais aussi la volonté de l’Alhambra d’organiser des soirées spéciales avec des associations étudiantes… Aujourd’hui, comme ce fut assez bien souligné lors de l’inauguration du Méliès Saint-François, un cinéma est un «écosystème» qui doit prendre en compte son implantation dans un quartier et la spécificité de ses habitants, se mettre en relation avec les autres acteurs culturels stéphanois pour développer des projets communs et être réactif aux changements qui ne manqueront pas de se dérouler dans les années à venir, pour le cinéma comme pour ceux qui y vont. Dans le fond, cette grande révolution des écrans en annonce peut-être d’autres, plus profondes encore…

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