Cannes 2015, jours 8 et 9. Love, love, love

"Youth" de Paolo Sorrentino. "The Assassin" de Hou Hsiao-Hsien. "Mountains May Depart" de Jia Zhang-ke. "Dheepan" de Jacques Audiard. "Love" de Gaspar Noé.

Dur dur quand même ce festival de Cannes. Comme d’habitude, nous objecte notre petite voix intérieure. Oui, enfin, un peu plus que ça, lui répond-on, agacé. C’est parce que tu as la mémoire courte, renchérit-elle. Non, les pieds en feu et les yeux cernés surtout, tentons-nous pour couper court au débat. Sur quoi on se dit que si l’on en est à écrire ce genre de conversations imaginaires, c’est qu’effectivement il y a comme une forme de surchauffe intérieure et qu’on n’est pas loin de crier, proximité de l’Italie oblige : «Aiuto !»

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Youth : la grande mocheté de Sorrentino

À moins que cet appel à l’aide ne soit la conséquence de l’accueil délirant réservé au dernier Paolo Sorrentino, Youth, qu’on considère pourtant clairement comme une horreur, sinon une infamie. C’est à ne plus se comprendre soi-même, tant on était resté sur le souvenir, émerveillé, de sa Grande Bellezza il y a deux ans, où il portait son cinéma rutilant et excessif vers une forme d’absolu, sillonnant les rues romaines avec une caméra virtuose et élégiaque dans un hommage même pas déguisé à La Dolce vita. De "Grande beauté", il n’y a point dans Youth, qui est plutôt d’une grande laideur, autant morale que visuelle.

Transformant un paisible hôtel sur les hauteurs alpines en centre de villégiature pour artistes vieillissants et / ou dépressifs, il parque quelques grandes stars (du cinéma comme Michael Caine et Harvey Keitel, mais aussi du foot, avec l’apparition-gag ridicule de Maradona) qui trompent leur ennui entre promenades dans la montagne, réflexions aigres sur leur vie quotidienne et aphorismes lelouchiens sur la vie tout court. Eux ont le droit, par rapport à tous les autres personnages, à la bienveillance du cinéaste ; normal, ils représentent le relais parfait du regard vieux con / gros beauf de Sorrentino, toujours prompt à caricaturer ceux qui viennent perturber leur quiétude ruminante. C’est d’abord un émissaire de la Reine d’Angleterre qui en prend pour son grade ; puis c’est une pop star qui a eu le malheur de larguer un acteur déprimé car uniquement reconnu pour sa participation à un blockbuster inepte. Parenthèse : dans un remake vulgos de Sils Maria, Sorrentino oppose sans cesse la haute culture européenne — musique classique et cinéma d’auteur — et débilité des produits commerciaux. On a quand même très envie de lui demander des comptes sur son appartenance à la première catégorie, tant son film ne transpire jamais autre chose qu’un berlusconisme grossier et publicitaire…

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Malin, Sorrentino a prévu la réponse à ce reproche : à chaque personnage soigneusement moqué correspond un petit moment où il s’agit de renverser les apparences. Bel exemple : la Miss Univers plantureuse que l’acteur ridiculise d’abord comme une bimbo sans cervelle, avant de découvrir que, mince, elle a aussi de la répartie et de l’esprit. Sauf que, in fine, Sorrentino la ramène à l’écran à son cliché : une bombasse silencieuse qui plonge à oilpé dans une piscine. Dans La Grande Bellezza ou même dans le décevant This Must Be the Place, Sorrentino utilisait un procédé du même ordre, mais il avait la délicatesse : 1) de laisser durer les choses sur plusieurs séquences ; 2) de s’en tenir au moment où l’humanisme du regard l’emporte sur le cynisme du préjugé.

Beaucoup plus mal écrit, Youth est victime de sa construction en saynètes paresseuses, et souvent indigentes. Voir Michael Caine se remémorer sa gloire de compositeur en inventant mentalement un concert de vaches ou d’horloges, ou Harvey Keitel fantasmer dans un champ un chorus d’actrices qui se livrent à des caricatures d’extraits de films imaginaires, cela n’est ni drôle, ni inspiré. Sorrentino cherche tellement à séduire le spectateur qu’il déploie une démagogie insupportable, mixant cinéma pour seniors et stylisme superficiel.

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