24 révoltes par seconde

Panorama ciné rentrée/septembre / Peu importe qu’il soit passé au tout numérique : lorsqu’il s’agit des colères du mondes, le 7e Art retrousse ses babines et retrouve les bobines. Au moins de celles et ceux qui les incarnent…

Le feuilleton de l’été ne se suivait pas sur les petits écrans (la saga estivale made in TF1, c’est tellement 1987), ni sur les tablettes (la saison 7 de Orange is the new black qui se fait la malle des serveurs de Netflix France, ce fail trop beau pour être vrai), mais dans les coulisses du cinéma hexagonal dont la plupart des représentants (membres de la SRF, étudiants de la Femis, indépendants…) ont accueilli avec des piques l’éventualité d’une nomination du producteur Dominique Boutonnat à la tête du CNC, l’instance suprême de la profession. Pas uniquement parce que celui-ci figurait parmi les premiers à avoir abondé au comité de soutien du candidat Macron (encore que…) ; plutôt pour le rapport que la Ministère de la Culture lui avait commandé, dans lequel il préconisait le financement privé du cinéma et de l’audiovisuel. Ni la mobilisation de la corporation ni la pétition en ligne réunissant parmi plus de 7000 signataires, le plus prestigieux des génériques, n’ont pu infléchir la volonté jupitérienne : après une grosse semaine de flottement, Boutonnat a été nommé. Le même 24 juillet, Michel Hazanavicius, qui contestait depuis la première heure cette désignation, a été propulsé aux commandes de la Fémis — une manière de le museler ? Alors, si la rentrée s’annonce tumultueuse dans ses coulisses, le cinéma agite une égale agitation teintée de révolte sur les écrans : le fond de l’air bouge encore…

Femmes fortes

Et les résistances sont souvent féminines. Film d’animation à l’instar de Parvana, Les Hirondelles de Kaboul (4 septembre) renvoie à l’Afghanistan des années de fer et de sang, hélas pas si lointaines. Cosignée par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, cette transposition du roman de Yasmina Khadra raconte plusieurs mises à mort, symboliques et réelles, consécutives à la prise du pouvoir par les talibans et à leur doctrine fondamentaliste. S’il prend quelques libertés avec le texte initial pour “sauver“ un personnage, ce conte moral enrobe les questions politico-religieuses dans une forme élégante et réaliste, mais sans l’être trop : la douceur aquarellée tempérant à bon escient la rudesse du propos.

Autre cieux, autres combats… en apparence. Dans Le Mariage de Verida (même date) une jeune Mauritanienne doit entamer un gavage aussi rituel que démesuré visant à la faire grossir avant ses noces, parce que promise par ses parents au fils d’une autre famille. Sauf que Verida, plutôt réservée, va manifester des aspirations individuelles tranchant avec les hypocrisies ambiantes. Plus au nord, en Islande, dans MJÓLK, La guerre du lait (11 septembre) Grímur Hákonarson dépeint le combat opiniâtre d’une exploitante laitière contre une omnipotente coopérative aux agissements mafieux. On ne manquera pas de faire le lien avec Woman at War sorti l’an dernier — même s’il y a moins d’originalité formelle ici — en espérant toutefois que les cinéastes islandais ne se mettent pas à exploiter ce filon de la réfractaire limite anar s’attaquant au capitalisme et indirectement, aux fondements du patriarcat.

Les femmes ne sont pas toutes des progressistes. Voyez la mère du héros de L'Insensible (même date) de Ivan I. Tverdovsky, auteur du déjà stupéfiant Zoo. Cette manipulatrice retire Denis, son fils de 16 ans de l’orphelinat afin d’exploiter son analgésie congénitale. Elle le contraint en effet à se précipiter sur des voitures afin que les conducteurs, souvent des ennemis de l’État russe, soient condamnés comme chauffards au terme d’un procès truqué. Glaçante métaphore d’une société dévorant ses enfants ; mieux vaut être orphelin que mal materné.

Le milieu et les moyens

Sympathique biopic réglé comme du papier à musique, Music of my Life (même date) de Gurinder Chadha, montre comme l’œuvre de Bruce “The Boss“ Springsteen permet à un adolescent de s’affranchir du carcan traditionnel familial, et le conduire à devenir écrivain : entre le gosse du New Jersey et le Londonien d’origine pakistanaise, les points communs sont plus nombreux que l’on pense. Et la langue poétique, identique.

Mais le plus effrayant s’avère le premier long métrage d’Antoine Russbach, Ceux qui travaillent (25 septembre), dans lequel Olivier Gourmet incarne avec une redoutable implacabilité un agent zélé de la mécanique capitaliste : celui qui remplit les étals des supermarchés pour que les consommateurs ne manquent de rien. Un Christ libéral acceptant de noircir sa conscience… en échange d’un confortable salaire. Aussi terrifiant qu’édifiant ; parfait pour faire germer les révoltes…

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