"Le Prince Oublié" : En fin de conte…

Conte / Le combat de personnages pour pouvoir survivre après la défection de leur public épouse celui d’un père pour rester dans le cœur de sa fille. Beau comme la rencontre fortuite entre Princess Bride et une production Pixar ou dans un film d’auteur français signé Hazanavicius.

Tous les soirs, Djibi raconte à sa fille Sofia des histoires qu’il crée pour elle, où un Prince triomphe du diabolique Pritprout. Mais à son entrée au collège, Sofia se met à s’inventer ses propres histoires, causant la mise au chômage des personnages de l’univers imaginé par son père…

De la même manière que l’histoire du Prince oublié navigue continûment entre deux mondes, la sphère du “réel“ et celle de l’imaginaire, le cinéma de Michel Hazanavicius offre au public un double plaisir : suivre le spectacle déployé par la narration (à savoir les aventures/mésaventures des personnages) tout en l’incitant à demeurer vigilant à la mécanique du récit, à sa méta-écriture et aux fils référentiels dont il est tissé. L’approche hypertextuelle constitue d’ailleurs une composante essentielle de son œuvre depuis le matriciel La Classe américaine ; au point qu’Hazanavicius semble avoir voulu illustrer par l’exemple les différentes pratiques recensées par Gérard Genette dans Palimpsestes : pastiche et travestissement pour les OSS 117, parodie et charge dans Le Redoutable, transposition avec The Search, forgerie pour The Artist

Éloge manifeste ou manifeste élogieux de l’art du conte(ur) ainsi que de ses muses, Le Prince oublié dissémine dans les replis de ses images des hommages à quelques figures tutélaires du récit : arrêt de bus baptisés Suzanne Schiffmann (scénariste, par ailleurs mère du chef-opérateur de ce film), Guy Debord, Jacques Prévert, entre autres clins d’œil…

Deux autres mondes

Au-delà du concept proposé par cet hybride entre Mother ! (version familiale, hein) et Le Magicien d’Oz, Le Prince oublié poétise le sentiment reliant un père à sa fille ainsi que son mouvement réciproque, comme il illustre la béance grandissante séparant les parents de leurs adolescents lorsque ceux-ci développent des codes vernaculaires, des références intrinsèques…bref acquièrent leur autonomie. Hazanavicius complète à sa façon la série de BD de Riad Sattouf Les Carnets d’Esther — sans doute la plus affûtée des visions sur l’adolescence contemporaines.

Un apologue s’abritant en chaque conte, celui-ci ne peut faire exception et s’achève donc par une morale, laquelle pourrait s’énoncer ainsi : « la plus grande victoire d’un père est de savoir prendre la porte au bon moment… mais en se tenant prêt derrière en cas de rappel. » De quoi ménager la sensibilité des paternels !

Le Prince Oublié de Michel Hazanavicius (Fr., 1h41) avec Omar Sy, Bérénice Bejo, François Damiens…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 5 octobre 2021 Un négationniste s’installe dans la cave d’une famille juive et lui pourrit la vie tout en faisant croire qu’elle le persécute. Aidé par un François Cluzet effrayant, Philippe Le Guay renoue avec l’acuité mordante à laquelle il avait depuis...
Vendredi 8 septembre 2017 Un démineur breton se trouve confronté à de multiples “bombes” intimes, susceptibles de dynamiter (ou ressouder) sa famille déjà bien fragmentée. Autour de François Damiens, Carine Tardieu convoque une parentèle soufflante. Quinzaine des...
Mardi 5 septembre 2017 Une année à part dans la vie de Godard, quand les sentiments et la politique plongent un fer de lance de la Nouvelle Vague dans le vague à l’âme. Une évocation fidèle au personnage, à son style, à son esprit potache ou mesquin. Pas du cinéma juste ;...
Mercredi 3 février 2016 Avec quatre réalisations en dix ans — dont trois depuis juin 2011 — on va finir par oublier que Roschdy Zem a commencé comme comédien. Il aurait intérêt à ralentir la cadence : son parcours de cinéaste ressemble à une course forcenée vers une forme...
Lundi 15 décembre 2014 Bons sentiments à la louche, pincée d’humour trash, mise en orbite d’une star de télé-crochet, célébration de l’art de Michel Sardou, regard pataud sur le handicap, populisme facile : Eric Lartigau signe un film dans l’air moisi du temps, qui donne...
Mardi 25 novembre 2014 De Michel Hazanavicius (Fr, 2h14) avec Bérénice Bejo, Annette Bening, Maxim Emelianov…
Mardi 14 octobre 2014 Retour du duo gagnant d’Intouchables, Nakache et Toledano, avec une comédie romantique sur les sans papiers où leur sens de l’équilibre révèle à quel point leur cinéma est scolaire et surtout terriblement prudent. Christophe Chabert
Mardi 29 avril 2014 D’Éric Barbier (Fr, 1h45) avec Yvan Attal, Bérénice Béjo…
Lundi 16 décembre 2013 Peut-on faire un mélodrame sans verser dans l’hystérie lacrymale ? Katell Quillévéré répond par l’affirmative dans son deuxième film, qui préfère raconter le calvaire de son héroïne par ses creux, asséchant une narration qui pourtant, à plusieurs...
Mardi 10 décembre 2013 De Jean-Paul Salomé (Fr-Belg, 1h42) avec François Damiens, Géraldine Nakache, Lucien Jean-Baptiste…
Mercredi 4 septembre 2013 Claire Simon tente une radiographie à la fois sociologique et romanesque de la gare du nord avec ce film choral qui mélange documentaire et fiction. Hélas, ni le dialogue trop écrit, ni les récits inventés ne sont à la hauteur de la parole réelle et...
Samedi 18 mai 2013 Pour son premier film tourné hors d’Iran, Asghar Farhadi prouve à nouveau qu’il est un des cinéastes importants apparus durant la dernière décennie. Mais ce drame du non-dit et du malentendu souffre de la virtuosité de son auteur, un peu trop sûr de...
Jeudi 25 avril 2013 Avec cette adaptation du roman culte de Boris Vian, Michel Gondry s’embourbe dans ses bricolages et recouvre d’une couche de poussière un matériau littéraire déjà très daté. Énorme déception. Christophe Chabert

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X