Benjamin Lavernhe dans Le Discours : « J'aime bien causer… »

À l’écran, on l’a connu odieux (Le Sens de la fête),  irrésistible de drôlerie (Mon inconnue), fuyant (Antoinette dans les Cévennes) mais à chaque fois impeccable. Benjamin Lavernhe — de la Comédie Française — poursuit sur sa lancée en tenant l’affiche (et le crachoir) du Discours, adaptation ô combien cinématographique de Fabcaro par Laurent Tirard.

Le Discours raconte une histoire des retrouvailles différées. Or le film, d’abord annoncé pour Cannes 2020, avait été repoussé en décembre, avant d’être à nouveau décalé pour le 9 juin. Il y a là comme une mise en abyme un peu ironique et cruelle, non ?

Benjamin Lavernhe : Oui, c’est vrai que c’est tragiquement drôle ; après, on peut se dire que notre personnage du « Discours » se plaint beaucoup, se complaît un peu ; qu’il est peut être un peu pénible… Nous, on a eu l’impression que notre plainte, elle était légitime ; on n’a pas envie qu’elle soit vue comme nombriliste et qu'elle finisse par agacer. Comme disait Jean-Michel Ribes sur les réseaux sociaux « la culture n’est pas au dessus du reste, mais elle existe ».

Aux yeux du public, votre personnage peut passer pour nombriliste ; en réalité, c’est quelqu’un en attente et en souffrance. Une souffrance qui dévore tout le reste, et que le film ne fait que retranscrire avec justesse…

Oui, c’est son caractère obsédant, sa névrose… C’est quelqu’un qui se débat, il est complètement obsédé par l’amour et la passion ; ça le brûle de l’intérieur et il n’y a pas d’issue. Il aurait peut être besoin de faire de la méditation (sourire). Même dans la scansion du film, il y a un éternel retour au dîner ; on s’en échappe en permanence par des fantasmes, par la projection dans le passé, par des souvenirs — quand on ouvre sont cerveau on a accès à quand même beaucoup de choses ! Ce personnage a du mal à être présent à table avec ses parents, et le fait qu’il soit absent crée de la comédie et de la dramaturgie dans un film très en saynètes, en idées, à tiroirs… Mais où les spectateur sont aussi heureux quand il y a une résolution, et de voir que notre personnage arrive au présent à avoir un regard, tendre, doux sur son beau-frère, sur sa sœur, sur son père qui radote… Mine de rien, il finit par évoluer en une heure et demie !

Le présent que constitue le dîner, et que montre le film n’existe pas réellement puisque les parents sont vissés dans un passé éternel (avec le père qui radote) et votre personnage se projette dans un futur idéal…

En effet. Il s’en échappe parce que le réel est insupportable. Je crois qu’il n’y a rien de plus terrible quand on a un grand chagrin d’amour que de revenir chez ses parents — quand on est adulte, en tout cas. Parce que tout nous horripile et c’est encore plus dur de se voir ramené à sa place d’éternel enfant, de stagner, de bloquer, de ne pas évoluer, d’être toujours un peu dans le passé, la nostalgie… Et parce que notre sœur ne retient toujours pas que c’est les poivrons et pas les concombres qu’on n’aime pas… À l’époque du tournage, j’étais content de sortir de table et d’arrêter de manger du gigot ou de la tarte poire-chocolat ! (rires)

Le Discours montre aussi qu’en 2021, une histoire d’amour reste avant tout une relation textuelle avant d’être une relation entre les corps : la communication écrite prime, que ce soit par SMS ou dans ces petits mots que certains glissent dans les arbres…

Oui, c’est vrai. Les gens communiquent par écrit, c’est à la fois rassurant… et ça ne l’est pas. Mon personnage a besoin d’un papier pour écrire dans ses premiers rendez vous, des idées…C’est le papier que je regrette parfois, le fait d’écrire des lettres… Toute correspondance est belle ! C’est quand on ne communique plus que c’est le plus inquiétant — comme un papier dans un arbre pour souhaiter une sodomie consentie (sourire) Ce qui est déprimant, c’est le manque de vocabulaire, les abréviations dans les textos…

Dans l’histoire, tous ces questionnement sur les « est-ce que je mets un point ou pas ? », ça crée de la comédie, mais je me demandais comme ça allait “résister” au cinéma : filmer un téléphone, être avec un personnage aux toilettes qui demande conseil… Heureusement, il y a des regards camera dans ces moments-là, et c’est proche du journal intime. Je n’avais pas trop réfléchi au fait que c’est très textuel. D’ailleurs, c’est un film où j’avais beaucoup de texte à ingurgiter.

Beaucoup de texte, mais aussi beaucoup de présence : vous êtes quasiment de tous les plans. Et quand vous n’êtes pas physiquement présent, votre voix l’est. Comment s’inscrit-on dans un film avec autant de “présences” différentes, physiques et vocales ?

C’est très réjouissant et on s’inquiète aussi de cette responsabilité du récit. On se dit : « pourvu que les gens ne fassent pas une overdose ». Bon, Laurent Tirard m’a choisi, donc je dois en être capable. Et puis moi, j’aime bien causer, prendre la parole… Mais c’est quand même une grosse responsabilité et beaucoup de travail pour que le film se raconte : il tellement déstructuré chronologiquement que j’avais aussi envie qu’il y ait une trame et un peu d’émotion ; que ce ne soit pas juste un film à sketches. J’ai eu un peu le trac et redouté que le concept de face-caméra ne tienne pas la route sur la longueur, que ça s’épuise, mais Laurent Tirard m’a très vite dit « Ça sera un film assez court ». Bon, il fait quand même une heure et demie mais moi quand je jouais, je parlais à la caméra, et j’avais vraiment le souci que les gens m’écoutent. Dès le générique de début — qu’on a tourné le dernier jour, ça n’était pas prévu — on casse le quatrième mur et on parle aux gens. Il fallait que j’intéresse les gens avec mon histoire de texto et de discours que je n’ai pas envie de faire. Après tout, Fabcaro disait que pour le proposer à son éditeur, il avait dit : « c’est un livre qui parle de rien, un livre sur un type qui attends un texto et qui a pas envie de faire un discours ». Mais quand on met les doigts dedans, ça aborde mille choses, mille thématiques sur la famille, sur les non-dits, sur les chagrins d’amour… Apres, il fallait aussi en faire du cinéma et être ingénieux dans une manière ludique de le raconter.

Et je trouve que la seconde partie du film rend tout très cohérent, finalement : il y a une évolution du personnage, une mélancolie et une tendresse qui font qu’on est mieux. On a eu l’impression de vivre une aventure avec lui, dans ces scènes de retour en arrière et de fantasme.

Vous redoutiez l’effet sketch, on perçoit au contraire une construction évoquant Buñuel ou Resnais dans la manière d’explorer l’inconscient, le subconscient, la dimension onirique ; bref jouant avec tout ce que le cinéma peut apporter à l’illustration des univers mentaux…

Ah c’est un beau compliment ! C’est pas naturaliste ni très réaliste, c’est même parfois presque théâtral — sauf que là, on ne peut pas parler fort comme sur scène. D’habitude, le cinéma amène du naturalisme dans l’inventivité et en se décollant du réel. Là, on voit un décor et on n’y croit pas tout à fait, il représente l’espace mental du personnage — on l’a tourné en studio, à Bry-sur-Marne et il est fait pour que les gens puissent s’identifier. Souvent dans les comédies françaises, on est dans des appartements luxueux, immenses ; là il s’agissait d'une famille moyenne, à la hauteur de notre personnage pour que les gens puissent se dire : « Ah oui, cette famille c’est la mienne ». Bon, on pourrait commenter le gout de la déco… (rires)

Y a-t-il eu un échange entre Laurent Tirard, Fabcaro et vous sur la définition du personnage et la manière dont il allait devenir “vivant” au delà du livre?

Pas du tout ! Je pensais qu’il serait beaucoup plus sensible comme les auteurs à qui on parle de leur œuvre ; en vrai il était très détaché — non pas qu’il s’en foutait, mais il avait le grand respect de dire « je fais confiance, ça ne m’appartient plus, je lâche le bébé », il était très curieux de savoir ce que ça allait devenir, et flatté, heureux qu’on s’empare de son histoire. En même temps, il était assez étonné, sceptique — c’est un peu pessimiste pour nous — car il nous a souhaité bonne chance !

Il était déjà venu sur le tournage — un peu comme un môme parce qu’il n’était jamais venu sur un plateau de cinéma — au moment de la scène du fantasme discours qui cartonne. On s’est bien amusés, il était très détendu, très bienveillant. Et quand il est venu voir le film, à la fin, il était hyper ému et il s’en étonnait en disant : « Ah mais je pensais pas que.. » De voir les personnages incarnés, ça ne l’a pas du tout traumatisé — je sais pas si il était poli, mais il avait l’air sincèrement heureux et il a réussi très vite à être spectateur et a ne pas être dans l’analyse ni la critique. Quand on lui a demandé dans une interview s’il était content des choix, il a répondu « bah oui, ça me paraît évident ». Et c’était sincère.

Il n’a pas travaillé à l’adaptation avec Laurent Tirard, qui a librement fait des coupes, remanié l’ordre des scènes. Par exemple, celle du début se situe au milieu du roman — parce que le roman est encore plus décousu que le film et que Laurent voulait recréer une courbe dramaturgique.

Le Discours aurait dû être à Cannes en 2020. En juillet dernier, Thierry Frémaux a annoncé que les films possédant le label Cannes 2020 recevraient une invitation officielle à monter les marches en 2021. Préparerez-vous un discours pour l’occasion ?

C’est terrible : à tous les coups je vais le préparer et je n’aurai pas l’occasion de prendre la parole, ça m’étonnerait qu’ils me laissent parler et ils auraient bien raison !

Et si vous recevez un César l’an prochain ?

J’ai été nommé deux fois, j’avais tout préparé, et le plus triste la dedans, c’est qu’on ne peut pas dire ce qu’on a écrit pour remercier les autres, on se réjouit tellement de dire : « Ah, merci untel, merci untel » et je crois que c’est la seule fois de sa vie où on écrit quelque chose et où on est pas sûr de le dire, mais ou on écrit vraiment comme si on allait le dire.

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